Matisse et Marguerite
Le regard d’un père
Musée d’Art Moderne de Paris
4 avril - 24 août 2025
Portrait de Marguerite
Issy-les-Moulineaux, 1918
Huile sur bois, 46 x 37,8 cm
West Palm Beach, Floride, Norton Museum of Art
Don de Jean et Martin Goodman, de Palm Beach, Floride, 1986
Crédit : Norton Museum of Art
« Au temps de mon père, on vivait avec son drame quotidien, qui était la peinture. »— Marguerite Duthuit-Matisse, 1970
Le Musée d’Art Moderne de Paris présente une exposition inédite d’Henri Matisse (1869-1954), l’un des plus grands artistes du XXème siècle. Rassemblant plus de 110 œuvres (peintures, dessins, gravures, sculptures, céramique), elle propose de montrer le regard d’artiste et de père que Matisse porte sur sa fille aînée, Marguerite Duthuit-Matisse (1894-1982), figure essentielle mais discrète de son cercle familial.
L’exposition présente de nombreux dessins rarement sinon jamais montrés au public, ainsi que d’importants tableaux venus de collections américaines, suisses et japonaises exposés en France pour la première fois. Des photographies, documents d’archives et œuvres peintes par Marguerite elle-même complètent l’évocation de cette personnalité méconnue du grand public.
Depuis les premières images de l’enfance jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Marguerite demeure le modèle de Matisse le plus constant – le seul à avoir habité son œuvre au cours de plusieurs décennies. Porteurs d’une franchise et d’une intensité remarquables, ses portraits trahissent une émotion rare, à la hauteur de l’affection profonde que Matisse portait à sa fille. L’artiste semblait voir en elle une sorte de miroir de lui-même, comme si, en la dépeignant, il accédait enfin à l’« identification presque complète du peintre et de son modèle » à laquelle il aspirait.
Organisée de manière chronologique, l’exposition témoigne de la force du lien qui unissait l’artiste et sa fille, et permet d’appréhender l’immense confiance et le respect qu’ils se vouaient mutuellement. Elle est aussi l’occasion de découvrir le destin fascinant d’une femme hors du commun, qui joua un rôle de premier plan dans la carrière de son père.
Aînée des trois enfants Matisse, Marguerite naît en 1894 de la relation éphémère que l’artiste, alors jeune étudiant en peinture, entretient avec son modèle Caroline Joblaud. Reconnue par son père, elle grandit aux côtés de Jean (1899-1976) et Pierre (1900-1989), fils de Matisse et de son épouse Amélie. « Nous sommes comme les cinq doigts de la main », écrira plus tard Marguerite à propos de ce noyau familial très soudé.
Son enfance est marquée par la maladie et la souffrance : à l’âge de sept ans, elle subit une première trachéotomie dont elle dissimulera longtemps la cicatrice sous un ruban noir, attribut distinctif de nombre de ses portraits. Privée d’une scolarité normale en raison de sa santé fragile, elle devient une authentique « gosse d’atelier », témoin attentif et quotidien du travail de Matisse. « Tout l’esprit de la famille était dirigé sur l’effort du père », se souviendra-t-elle. Sa disponibilité l’amène à prêter son visage aux recherches plastiques du peintre, lequel trouve en sa fille un modèle patient et bienveillant, prêt à accueillir ses expérimentations formelles les plus audacieuses.
En 1905, dans l’Intérieur à la fillette (The Museum of Modern Art, New York), Matisse dépeint Marguerite dans la touche vibrante et colorée caractéristique du fauvisme. L’année suivante, l’intérêt sensible du peintre pour sa fille se déploie dans un superbe ensemble de tableaux et dessins réalisés à Collioure, tandis que la sage écolière aux yeux baissés (Marguerite lisant, Musée de Grenoble) évolue en une fière adolescente affrontant le regard du spectateur (Musée Picasso, Paris). Plus frontale encore, la magistrale Marguerite au chat noir de 1910 (Centre Pompidou, Paris) précède la géométrisation austère et radicale de Tête blanche et rose (Centre Pompidou, Paris).
Au cours de la Première Guerre mondiale, les portraits de Marguerite se multiplient. La fille du peintre y apparaît comme une jeune femme élégante, habillée avec raffinement et coiffée de chapeaux élaborés. Alors que Matisse s’installe progressivement à Nice, elle fait l’objet d’une importante série de portraits au balcon, emmitouflée dans un large manteau à carreaux, avant de figurer au premier plan de la composition monumentale du Thé (LACMA), évocation du jardin familial à Issy-les-Moulineaux.
En 1920, Marguerite apparaît à nouveau, épuisée et convalescente, dans une série d’œuvres réalisées après une douloureuse opération de la trachée. Matisse s’y devine en père inquiet et empli de tendresse pour sa fille enfin libérée de sa cicatrice et de son ruban. Exécutées à Étretat, elles figurent parmi les derniers portraits individualisés que Matisse réalise de sa fille avant une interruption de vingt-cinq ans. Si Marguerite continue de poser pour son père au début des années 1920, c’est désormais au titre de figurante, dans des tableaux et dessins qui intègrent presque toujours un second modèle professionnel, Henriette Darricarrère. Complices, les deux jeunes femmes arborent des tenues recherchées, de bal ou de carnaval, dans des décors niçois riches en couleurs.
En 1923, Marguerite épouse l’écrivain Georges Duthuit et disparaît des tableaux de son père. Elle en demeure néanmoins très proche, endossant le rôle d’intermédiaire entre Matisse, désormais installé à Nice, et les innombrables sollicitations de collectionneurs, historiens, conservateurs et marchands d’art. Redoutablement précise et exigeante, c’est elle qui supervise le tirage des gravures de son père à Paris. Dévouée à la défense de l’art de Matisse, elle accroche des expositions à Berlin et Londres et, plus tard, aura la charge du catalogue raisonné de son œuvre, tâche jamais achevée. Une salle de l’exposition est ainsi consacrée au rôle primordial joué par Marguerite dans la carrière de son père, de même qu’à ses propres incursions dans le domaine de la peinture puis de la mode.
« Moi je suis faite de la substance des guerriers, des ardents », écrivait Marguerite en 1943. Son courage et son intégrité indomptables s’illustrent au cours de la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’elle est arrêtée puis torturée pour faits de résistance. Les derniers portraits datent de 1945, alors que le peintre découvre, bouleversé, les immenses dangers et souffrances endurés par sa fille. Poignante, cette ultime série de dessins et lithographies fait écho à un ensemble de portraits tout aussi émouvants que Matisse réalise de son petit-fils Claude, enfant unique de Marguerite, au cours de ces années sombres.
En fin d’exposition, une projection vidéo conçue par la réalisatrice Elisabeth Kapnist retrace la vie de Marguerite par-delà l’art et la carrière de son père, à partir de dizaines de photographies d’archives.
Préfacé par Barbara Duthuit dont le soutien a été déterminant, le catalogue s’appuie sur plusieurs années de recherche dans les Archives Matisse, et complète l’exposition en apportant des éléments plus approfondis sur la vie de Marguerite et l’œuvre de son père, ainsi que des extraits inédits de la correspondance entre père et fille. Publiée par les Editions Grasset, la première biographie de Marguerite Matisse, écrite par Isabelle Monod-Fontaine, spécialiste mondialement reconnue de l’œuvre du peintre, et Hélène de Talhouët, paraît également à l’occasion de l’exposition.
Parallèlement à l’exposition, une expérience de réalité virtuelle réalisée par TSVP et Lucid Realities est proposée autour de La Danse de Matisse, chef d’œuvre des collections du Musée d’Art Moderne de Paris.
Musée d’Art Moderne de Paris
11 Avenue du Président Wilson 75116 Paris