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03/09/25

Tursic & Mille @ Galerie Max Hetzler, Paris - Exposition "Lavis en Rose"

Tursic & Mille - Lavis en Rose
Galerie Max Hetzler, Paris
6 Septembre – 11 Octobre 2025

Tursic & Mille
Tursic & Mille 
Lavis en Rose, 2025 
© Tursic & Mille, photo: I & W, 2025

« Le sujet, dans la peinture de Tursic & Mille, est un leurre à tous les sens du terme : il trompe et il appâte... Car le véritable sujet de leurs œuvres est la peinture, dans une tradition classique qui va de Picabia à Christopher Wool. » 1 
Eric Troncy

La galerie Max Hetzler, Paris, présente Lavis en Rose, une exposition de Tursic & Mille, la sixième avec la galerie Max Hetzler et la première dans la galerie parisienne.

Avec un partenariat artistique qui s'étend sur plus de deux décennies, les peintres Tursic & Mille, mènent une réflexion profonde sur la peinture et sur la notion de représentation. À travers une pratique empirique d’une peinture ouverte à toutes les possibilités conceptuelles et matérielles, aux accidents constitutifs du médium, ils abordent la peinture, aussi bien en tant qu’objet que comme sujet. Réinventant sans cesse leur pratique, s’intéressant autant au concept, au process, à la matérialité de la peinture, qu’à l’utilisation de l’imagerie, ils développent une manière singulière de penser en peinture aujourd’hui.

Lavis en Rose, commence donc, avec son titre, par une homophonie, un jeu de mot, un malentendu : Lavis / La vie. Ainsi, un cliché, une promesse du bonheur se transforme en simple procédé technique à dominance rose (rose étant l’anagramme d’Éros). Ce malentendu est peut-être aussi celui qu’ils traquent dans l’idée même de peinture figurative, avec l’éternelle conflictualité interne image/peinture.

Le Rose, ici, agit comme élément perturbateur, tel un filtre à double usage : physiquement, il ajoute une couche matérielle au tableau (le poussant parfois à la limite du monochrome), sémantiquement enfin, en instillant une distance, une sensation d’instabilité qui agit tel un voile qui simultanément perturbe tout en affirmant le caractère complexe de la perception et de la représentation. Lavis en Rose est une traversée, aussi douce qu’incendiaire, d’un monde en tension.

L’exposition commence par un tableau programmatique. Un portrait d’une jeune femme, qui regarde ses doigts tachés de peinture rose. Mi-surprise, mi-dégoutée, elle semble se demander ce qu’elle va en faire, quoi en faire. « Ce tableau pourrait servir de portrait à n'importe quel peintre au travail, confronté à son démon, ces pigments dilués dans l'huile, incontrôlables, collés aux doigts, corps et âme, entêtants et rebelles aux coups de pinceau qui prétendent avoir tout pouvoir sur eux. Et pourtant, la peinture fait ce qu'elle veut : elle surgit de nulle part, gâchant l'image autant qu'elle la trace ». 2

Dans la première salle, deux paysages se font face. Un paysage lointain, un ciel étoilé rose, l’infiniment grand, en vis-à-vis, un ciel plus proche, ciel traversé par des fusées, l’infiniment humain. Sur les murs latéraux, deux petits panneaux de bois peints, deux natures mortes où figurent des mégots de cigarettes.

Au centre de l’exposition, l’Hallali inversé, se déroule sur trois tableaux. Utilisant plusieurs sources iconographiques, différents imaginaires, différents styles de peinture, différentes temporalités, comme si la scène provenait d’un souvenir parsemé de confusion. Dans un sous-bois en proie à des flammes symboliques, des animaux, ensemble, cèdent à une fuite panique, face à une menace non identifiée, qui n’est plus localisée, mais qui infuse au-delà de la composition. En opposition à ce mouvement, statique, une femme peintre est assise devant son chevalet, palette à la main, pinceau suspendu. À côté d’elle, un homme en costume, cigarette à la main, observe nonchalamment, comme s’il assistait à une scène ordinaire. Tursic & Mille interrogent la nature anachronique du medium en opposant la frénésie et l’urgence au temps long de la peinture.

Paysage Rose, un diptyque dans lequel une maison pavillonnaire est dévorée par des flammes qui s’élèvent dans un ciel rose délavé. Cette œuvre s’inscrit dans une série initiée en 2005, où le feu, omniprésent, devient une figure métaphysique : moins un évènement qu’un état latent, il habite le paysage et altère la lumière. Le lavis rose qui recouvre toute la surface adoucit et voile l’image, le rendant quasiment irréel et plus troublant. Le tableau est ici divisé en deux, scindant ainsi la temporalité interne de la composition en deux événements possibles.

Un portrait d’une jeune femme fixe le spectateur d’un regard vague, elle pose dans un canapé au milieu d’une clairière embrasée, habitant étrangement la composition. La forêt qui l’entoure est en flammes, pourtant, la scène reste étonnamment calme, tout est placé avec soin, comme dans un catalogue de décoration. Cette fusion de l’espace domestique à l'espace sauvage, cette uniformisation créée par le recouvrement d’une couche transparente rose, installe un trouble, une ambiguïté existentielle.

En parallèle, au 46 rue du Temple, est présenté une sélection de peintures sur papier issues de Papers 2018-2022, révélant l’aspect empirique de leur pratique. Ces œuvres accidentelles et inconscientes accumulées pendant plus de vingt ans donnent à voir le travail en train de se faire et créent in fine des peintures abstraites involontaires, des matérialisations de la pratique même de la peinture, un émerveillement constant et brut de la couleur. Les pigments dilués dans l'huile, incontrôlable. Et pourtant, la peinture fait ce qu'elle veut.

Ida Tursic (née en 1974 à Belgrade, en Serbie) et Wilfried Mille (née en 1974 à Boulogne-Sur-Mer, en France) vivent et travaillent à Mazamet, en France. Les œuvres de Tursic & Mille ont été présentées, entre autres, dans des expositions personnelles le FRAC – Fonds régional d'art contemporain de Normandie, Caen (2023); le Musée Consortium, Dijon (2022); Le Portique, Le Havre (2021); le Muzeum Sztuki, Łodz (2020); la Fondation d'Entreprise Ricard, Paris (2017); le Musée des Beaux-Arts, Dole (2011); le FRAC Auvergne, Clermont-Ferrand (2011) et le Musée de Serignan (2008-2009). Le duo d'artistes a reçu le prix de la Fondation Simone et Cino Del Duca en 2020 et le prix de la Fondation d'Entreprise Ricard en 2009. Ils ont été nominés pour le prix Marcel Duchamp en 2019.

Les oeuvres de Tursic & Mille font partie des collections permanentes de la Collection Berardo, Lisbonne; du Centre Pompidou, Paris; de la Fondation Louis Vuitton, Paris; le FNAC – Fonds National d'Art Contemporain, Paris; le FRAC – Auvergne, Clermont-Ferrand; le FRAC – Bourgogne, Dijon; le FRAC – Le Plateau, Paris; Le Consortium, Dijon; le Musée des Beaux-Arts de Dôle; et le Musée Régional d'Art Contemporain de Sérignan, entre autres.

_________
1 Eric Troncy dans le dossier de presse pour Tursic & Mille - Tenderness, Consortium Museum
2 Judicaël LavradorLibération, 15 mars 2022 

GALERIE MAX HETZLER, PARIS
46 & 57, rue du Temple, 75004 Paris

29/08/25

Dessins sans limite. Chefs-d'oeuvre de la collection du Centre Pompidou @ Grand Palais, Paris

Dessins sans limite. Chefs-d'oeuvre de la collection du Centre Pompidou
Grand Palais, Paris
16 décembre 2025 - 15 mars 2026

Avec plus de 35 000 dessins, la collection du cabinet  d'art graphique du Centre Pompidou est l'un des plus importants ensembles au monde d'œuvres sur papier des XXe et XXIe siècles. Ce fonds exceptionnel par sa richesse et sa diversité n'a encore jamais fait l'objet d'une grande exposition qui lui soit exclusivement consacrée. L'exposition Dessins sans limite est donc l'occasion de révéler pour la première fois les trésors inestimables de cette collection qui offre l'opportunité unique de comprendre comment ce medium s'est totalement réinventé au XXe siècle.

Car nombreux sont les artistes qui se sont emparés de ce mode d'expression originel et cathartique afin de transgresser les limites de l'art au point que le dessin est devenu aujourd'hui le laboratoire de tous les possibles. Au-delà de la feuille ou du traditionnel carnet, son domaine d'expression s'est étendu vers bien d'autres supports jusqu'à celui du mur ou de l'espace de l'installation. L'art graphique s'est ouvert à d'autres pratiques, étendant son champ à d'autres formes d'expression, photographiques, cinématographiques, ou encore numériques, ce qui rend ses frontières toujours plus mouvantes et ouvertes. Le regain d'intérêt porté par les jeunes générations d'artistes pour ce medium élémentaire et accessible est bien la preuve de sa grande actualité. S'il faut faire évoluer la notion même de dessin à l'aune des enjeux esthétiques et plastiques du XXIesiècle, cela n'exclut pas de se replonger dans les fondements d'une pratique qui, demeure par essence ouverte à l'invention et à l'expression de la pensée, qu'elle soit consciente ou inconsciente.

L'exposition Dessins sans limite met à l'honneur des pièces majeures de la collection rarement montrées notamment des œuvres de Balthus, Marc Chagall, Willem de Kooning, Sonia Delaunay, Jean Dubuffet, George Grosz, Vassily Kandinsky, Paul Klee, Fernand Léger, Henri Matisse, Amadeo Modigliani, Pablo Picasso, mais aussi Karel Appel, Jean-Michel Basquiat, Roland Barthes, Robert Breer, Trisha Brown, Marlène Dumas, William Kentridge, Robert Longo, Giuseppe Penone, Robert Rauschenberg, Kiki Smith ou encore Antoni Tàpies. Elle ne s'interdit pas d'aller au-delà du champ de la feuille de papier pour considérer le dessin en tant que performance, installation, ou bien encore dans sa forme animée.

Avec une sélection de près de 300 œuvres de 120 artistes, l'exposition « Dessins sans limites » n'a pas pour ambition de dresser une histoire du dessin aux XXe et XXIe siècles - une entreprise que la nature même du fonds rendrait impossible - mais propose une exploration sensible et subjective de la collection du Cabinet d'art graphique. Sans parti pris chronologique, le parcours est conçu sur le mode de l'anadiplose dans lequel les œuvres dialoguent à travers des face-à-face inédits et éclairants. Y sont considérées successivement quatre modalités du dessin, de la plus traditionnelle à la plus novatrice : étudier, raconter, tracer et animer.

Une exposition coproduite par le GrandPalaisRmn et le Centre Pompidou

Commissaires
Claudine Grammont, Cheffe de service, Cabinet d’art graphique, Centre Pompidou, Musée national d’Art Moderne
Anne Montfort-Tanguy, Conservatrice, Cabinet d’art graphique, Centre Pompidou, Musée national d’Art Moderne

GRAND PALAIS, PARIS

Alina Szapocznikow @ Musée de Grenoble - Exposition "Alina Szapocznikow. Langage du corps"

Alina Szapocznikow
Langage du corps 
Musée de Grenoble
20 septembre 2025 - 4 janvier 2026

Alina Szapocznikow
Alina Szapocznikow. Langage du corps
Courtesy Musée de Grenoble

Aujourd’hui considérée comme l’une des artistes majeures du XXe siècle, Alina Szapocznikow (1926 à Kalisz, Pologne – 1973 à Paris, France) a rarement fait l'objet d'expositions dans son pays d’adoption, la France. Le musée de Grenoble présente, en partenariat avec le Kunstmuseum Ravensburg, un parcours de près de 150 oeuvres réalisées entre 1947 et 1973. L’exposition Alina Szapocznikow. Langage du corps permet d’appréhender toute la carrière de l’artiste en mettant l’accent sur la période de maturité des années 1960-70. Dans son oeuvre, mêlant érotisme et traumas, le corps est le principal sujet d’inspiration. Sculptrice, elle s’attelle à toutes sortes de matériaux, aussi bien classiques, que plus novateurs, résine de polyester et mousse de polyuréthane. Héritière du Surréalisme, contemporaine des artistes du Nouveau Réalisme, elle contribue avec indépendance, en seulement deux décennies, au renouveau de la sculpture.

Troublante, bizarre, baroque, existentielle, informe et érotique, l’oeuvre de la sculptrice polonaise Alina Szapocznikow, longtemps incomprise, échappe à la classification. Consacrant son oeuvre au corps, elle exprime à travers lui tant la puissance de l’érotisme que la fragilité de nos existences. L’exposition se déployant en 15 salles se subdivise en deux parties. La première est consacrée à ses années de création à Prague (1945-1951) et en Pologne (1951-1962). La deuxième est dédiée à celles passées dans le Paris des années 1960 entre 1963 et 1973.

Juive, Alina Szapocznikow survit, adolescente, à la Shoah et à sa détention dans les camps de concentration. Après la Seconde Guerre mondiale, elle mêle un langage formel marqué à la fois par le modernisme tchèque, le Surréalisme et l’art informel, à l’esthétique du Réalisme socialiste, répond à des commandes publiques, et donne corps à des créations marquées par une forme d’existentialisme.

Alina Szapocznikow réalise l’essentiel de son oeuvre de maturité en France où elle s’installe définitivement en 1962. Avec son mari le graphiste Roman Cieslewicz, elle s’attelle à déconstruire la figure humaine. Le corps fragmenté devient le coeur de sa production sculpturale et graphique. Inventant une forme de grammaire érotique, une mythologie personnelle où le désir côtoie la mort, l’artiste conjure ses peurs, exorcise ses traumatismes. A travers ses Lampes-bouches, la série des Desserts et des Ventres-coussins, elle développe une production en série formée de fragments corporels sensuels et troublants, interrogeant la place de la femme dans la société des années 1960. Son intérêt pour l’informe et le hasard s'incarne aussi dans l’ensemble des Photosculptures (1971) dans lesquelles des chewing-gums mastiqués par l’artiste elle-même sont photographiés comme des sculptures traditionnelles. 

A partir de 1969, atteinte d’un cancer du sein, Alina Szapocznikow, se focalise sur la mémoire, les traumas et la finitude dans sa série Souvenirs (1970-1971) puis dans celle des Tumeurs (1969-1972). Constituées de résine, de photographies froissées, de journaux et de la gaze, ces oeuvres évoquent la maladie. Elles témoignent aussi de l’inébranlable courage et de la vitalité artistique qui n’ont cessé d’animer l’artiste.

Par la singularité comme par l’érotisme qui imprègne son oeuvre, l’artiste a été comparée à Louise Bourgeois et à Eva Hesse. Il s’agit de mettre en lumière l’oeuvre d’une femme artiste pionnière longtemps négligée par l’histoire de l’art.

COMMISSARIAT

MUSÉE DE GRENOBLE
Commissariat général : Sébastien Gokalp, directeur du musée de Grenoble
Commissariat scientifique : Sophie Bernard, conservatrice en cheffe pour l'art moderne et contemporain du musée de Grenoble

KUNSTMUSEUM RAVENSBURG
Commissaires
Ute Stuffer, directrice du Kunstmuseum Ravensburg
Ursula Ströbele, Professeur d’histoire de l’art, HBK, Braunschweig

MUSÉE DE GRENOBLE
5 place Lavalette - 38000 Grenoble 

21/08/25

Exposition Ernst Ludwig Kirchner "Kirchner x Kirchner" @ Kunstmuseum Bern - Musée des Beaux-Arts de Berne

Kirchner x Kirchner
Kunstmuseum Bern, Berne
12 septembre 2025 - 11 janvier 2026

Ernst Ludwig Kirchner
Ernst Ludwig Kirchner
Farbentanz I (Entwurf für Essen) 
[Color Dance I (Project Essen)], 1932
Oil on canvas, 100 x 90 cm
Museum Folkwang, Essen, acquired in 1968 with the 
support of the Folkwang-Museumsverein and 
the Alfred und Cläre Pott-Stiftung
© Museum Folkwang Essen / ARTOTHEK

Ernst Ludwig Kirchner
Ernst Ludwig Kirchner
Esser [Eaters], 1930
Oil on canvas, 150 x 121 cm
Galerie Henze & Ketterer, Wichtrach/Bern
© Galerie Henze & Ketterer, Wichtrach/Bern

Avec Kirchner x Kirchner le Kunstmuseum Bern, Musée des Beaux-Arts de Berne, consacre une exposition exceptionnelle à l’expressionniste allemand Ernst Ludwig Kirchner (1880–1938). Elle s’articule autour de la grande rétrospective de 1933, organisée par l’artiste lui-même à la Kunsthalle Bern. Une démarche rare à l’époque, qui offre aujourd’hui de nouvelles perspectives.

L’exposition montre comment Kirchner a procédé à une sélection, un accrochage et un remaniement ciblés de ses oeuvres, tentant non seulement de (re)configurer sa carrière artistique, mais aussi de concevoir une expérience spécifique de l’espace. Quelque 65 oeuvres issues de toutes les phases de sa création, dont des prêts importants provenant de collections nationales et internationales prestigieuses, nous indiquent comment Kirchner se mettait lui-même en scène, incarnant à la fois le rôle de l’artiste et celui du concepteur de l’exposition.


Ernst Ludwig Kirchner
Ernst Ludwig Kirchner
Sonntag der Bergbauern 
[Mountain Peasants on Sunday], 1923-24/26
Oil on canvas, 170 x 400 cm
Federal Republic of Germany
© Bundesrepublik Deutschland

Ernst Ludwig Kirchner
Ernst Ludwig Kirchner
Alpsonntag. Szene am Brunnen 
[Sunday in the Alps. Scene at the Well], 1923-24/around 1929
Oil on canvas, with original painted frame,168 x 400 cm
Kunstmuseum Bern
© Kunstmuseum Bern

Pour la première fois, les deux oeuvres monumentales Alpsonntag. Szene am Brunnen (Dimanche sur l’alpe. Scène près de la fontaine, 1923-1924 / vers 1929, Kunstmuseum Bern) et Sonntag der Bergbauern (Dimanche des paysans de montagne, 1923-1924 / 1926, salle du cabinet de la Chancellerie fédérale, Berlin) sont à nouveau réunies et constitueront le point d’orgue de l’exposition. Les deux toiles inauguraient la rétrospective Kirchner à la Kunsthalle Bern en 1933, où elles étaient présentées côte à côte. Avec ces images puissantes, Kirchner exprimait sa façon de voir l’interaction entre monumentalité et aménagement de l’espace. Il voulait également prouver qu’il était capable de créer des oeuvres ayant un rayonnement public, des oeuvres qui dépassaient le cadre de l’espace d’exposition pour avoir un impact sur la société. Cela lui tenait particulièrement à coeur, car il avait longtemps envisagé de peindre la salle des fêtes du musée Folkwang à Essen mais, en 1933, ce projet avait définitivement échoué.

Bien que conçues comme des pendants, ces deux peintures monumentales n’ont plus jamais été exposées ensemble depuis 1933. Alpsonntag. Szene am Brunnen a été directement acheté par le Kunstmuseum Bern après l’exposition. Un acte symbolique s’il en est : il s’agissait du premier et unique achat d’un tableau par un musée suisse du vivant de l’artiste. Sonntag der Bergbauern a d’abord été prêté, puis finalement acquis en 1985 par la Collection d’art de la République fédérale d’Allemagne. Le fait que la Chancellerie fédérale allemande ait accepté de prêter ce tableau, accroché bien en vue, de manière permanente, dans la salle du Conseil des ministres, constitue à la fois une exception et un fait marquant.

Ernst Ludwig Kirchner
Ernst Ludwig Kirchner
Alpaufzug [Ascending the Alps], 1918/1919
Oil on canvas, 139 x 199 cm
Kunstmuseum St. Gallen, acquired 1955
© Kunstmuseum St. Gallen, photograph: Stefan Rohner

Ernst Ludwig Kirchner
Ernst Ludwig Kirchner
Berglandschaft von Clavadel 
[Mountain Landscape from Clavadel], 1925-26/27
Oil on canvas, 135 × 200,3 cm
Museum of Fine Arts, Boston, 
Tompkins Collection – Arthur Gordon Tompkins Fund
Photograph © 2025 Museum of Fine Arts, Boston

Parmi les autres points forts de l’exposition figurent des chefs-d’oeuvre tels que Rue, Dresde (1908/1919, Museum of Modern Art de New York), Rue avec cocotte rouge (1914/1925, Museo Nacional Thyssen-Bornemisza de Madrid), Paysage de montagne de Clavadel (1927, Museum of Fine Arts de Boston), Danse des couleurs I [Projet pour Essen] (1932, Museum Folkwang Essen) ou Les mangeurs (1930, Galerie Henze & Ketterer, Wichtrach/Berne).

Ernst Ludwig Kirchner
Ernst Ludwig Kirchner
Strasse mit roter Kokotte 
[Street with Red Cocotte], 1914/25 
Oil on canvas, 125 x 90,5 cm
Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid
© Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid

Ernst Ludwig Kirchner
Ernst Ludwig Kirchner
Sich kämmender Akt 
[Nude Woman Combing Her Hair], 1913
Oil on canvas, 125 x 90 cm
Brücke-Museum, Berlin 
© Brücke-Museum, Ernst Ludwig Kirchner, 
CC-BY-SA 4.0

Ernst Ludwig Kirchner : le commissariat d’exposition comme acte artistique

L’exposition Kirchner x Kirchner montre à quel point Ernst Ludwig Kirchner avait conscience de son rôle de commissaire d’exposition : en 1933, en étroite collaboration avec Max Huggler (1903-1994), alors directeur de la Kunsthalle Bern et plus tard directeur du Kunstmuseum Bern, il organise la rétrospective la plus complète de sa carrière. Il ne se contente pas de sélectionner les oeuvres et de concevoir leur disposition, mais réalise également l’affiche et le catalogue de l’exposition ; il rédige même un texte d’accompagnement sous le pseudonyme de Louis de Marsalle. Kirchner structure ainsi sciemment son oeuvre, retravaille certaines toiles et utilise l’espace d’exposition qui fait partie intégrante de son message artistique. Une lettre adressée à Max Huggler le 21 décembre 1932 montre à quel Ernst Ludwig Kirchner considérait l’exposition comme un acte artistique :
« Accrocher une exposition en ajustant les couleurs et les formes, c’est comme créer un tableau. »
L’exposition du Kunstmuseum Bern met pour la première fois l’accent sur cette perspective curatoriale. Elle ne cherche pas à reproduire fidèlement la rétrospective historique de 1933 mais à mettre en lumière sa structure, ses intentions et son impact dans une perspective contemporaine. Pourquoi un artiste écrit-il sa propre histoire et pourquoi Kirchner choisit-il précisément cette forme de représentation en 1933 ? Ce sont les questions centrales qui se posent à nous. Quelles étaient ses intentions ? Et comment cette mise en scène ciblée influence-t-elle, aujourd’hui encore, la perception de son oeuvre ?
« La rétrospective de 1933 était bien plus qu’une exposition, c’était un manifeste artistique. Elle reflétait en les concentrant les efforts de Kirchner pour trouver son propre langage visuel ainsi que son besoin de se repositionner sur le plan artistique. » -- Nadine Franci, conservatrice du département des dessins et arts graphiques au Kunstmuseum Bern et commissaire de l’exposition.
En opposant l’interprétation établie de l’histoire de l’art à la vision que Kirchner avait lui-même de son oeuvre, l’exposition Kirchner x Kirchner propose une nouvelle approche de sa conception artistique et met en même temps en évidence sa volonté créatrice en tant que commissaire.

Contexte historique de la rétrospective de 1933

L’exposition à la Kunsthalle Bern eut lieu de mars à avril 1933, à un moment décisif pour Kirchner tant sur le plan politique que personnel. En Allemagne, après la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes, ses oeuvres font de plus en plus souvent l’objet de diffamation et sont retirées des musées. En Suisse, où il vit depuis 1917, il a l’occasion de donner une vue d’ensemble de son art.

Avec plus de 290 oeuvres, la rétrospective de 1933 fut l’exposition la plus complète jamais organisée du vivant de l’artiste. De nombreuses oeuvres provenaient de sa collection personnelle, mais Kirchner insista pour y inclure également des prêts provenant de collections publiques et privées. Il souhaitait ainsi donner l’image d’un artiste établi.
« Je pourrais facilement organiser toute l’exposition à partir de mes propres collections, mais ce serait mieux si certaines oeuvres provenant de collections publiques ou privées n’étaient pas à vendre [...]. » -- Ernst Ludwig Kirchner dans une lettre à Max Huggler, le 20 novembre 1932

 

Photographie de Ernst Ludwig Kirchner
Aura Hertwig-Brendel

Portrait d’Ernst Ludwig Kirchner, 1913/14

Photographie
Succession Ernst Ludwig Kirchner
© Nachlass Ernst Ludwig Kirchner,
courtesy Galerie Henze & Ketterer, Wichtrach/Bern
 
Kirchner x Kirchner : de l’époque de Die Brücke (1905-1913) aux oeuvres tardives de Davos (1917-1937)

Comme en 1933, Kirchner x Kirchner retrace le parcours de l’artiste, depuis ses débuts expressionnistes au sein du groupe Die Brücke jusqu’aux oeuvres tardives de Davos. Contrairement à l’exposition historique, les différentes phases de sa création sont aujourd’hui représentées de manière plus équilibrée. L’exposition montre également des travaux qui ne figuraient pas à Berne en 1933, soit parce que Kirchner les avait délibérément exclus, soit parce qu’ils n’étaient pas disponibles. Cela permet de comprendre les décisions prises par Kirchner à l’époque et les raisons qui les ont motivées.

La présentation s’organise selon différents thèmes, répartis sur cinq salles. Des oeuvres centrales ont donc été regroupées et mettent aussi en lumière la pensée curatoriale de Kirchner. La première salle est consacrée aux années passées à Dresde et à Berlin, avec des nus, des scènes de rue et l’univers du music-hall. Aujourd’hui encore, ces oeuvres sont considérées comme le sommet de son art. Elles n’étaient que peu représentées dans l’exposition de 1933 : Kirchner y montrait principalement des oeuvres qui lui avaient déjà valu une reconnaissance en Allemagne ou qui mettaient particulièrement en évidence ses innovations stylistiques.

En face, dans la dernière salle, se trouvent les oeuvres tardives, longtemps considérées comme moins importantes. Pour Kirchner cependant, elles marquaient en 1933 l’apogée de son évolution et occupaient donc une place prépondérante dans la rétrospective historique.

L’objectif de Kirchner était de mettre en valeur tout l’éventail de son style et de retracer son évolution à travers ses oeuvres. Il avait délibérément juxtaposé des oeuvres issues de différentes phases créatives et renoncé à un accrochage chronologique. Il avait même en partie retravaillé certaines oeuvres de ses débuts afin de mettre en évidence son évolution. Kirchner x Kirchner reprend cette approche afin que l’on puisse découvrir à la fois la diversité stylistique et les réflexions conceptuelles qui sous-tendent la présentation de l’artiste.

La grande salle principale est consacrée à la rétrospective historique. La démarche curatoriale de Kirchner a été reprise : paires d’oeuvres reconstituées, espaces intentionnellement ouverts sur d’autres salles et accent mis sur certaines couleurs. Parallèlement, le choix des oeuvres permet de retracer l’historique de l’acquisition de Alpsonntag. Szene am Brunnen (Dimanche sur l’alpe. Scène près de la fontaine) par le Kunstmuseum Bern, documentant ainsi une partie de l’histoire de la collection.

Les deux salles attenantes, plus petites, se concentrent sur les aspects formels et structurels. Une sélection d’oeuvres sur papier montre clairement que Kirchner a expérimenté la couleur, la surface, la ligne et le mouvement pendant des décennies et qu’il est resté fidèle à lui-même malgré l’évolution de son langage formel.

La sélection des oeuvres exposées, reliées au contexte historique, et le nouveau regard porté sur l’artiste font de l’ambitieux projet d’exposition Kirchner x Kirchner une expérience unique.

Kirchner x Kirchner - Catalogue
Kirchner x Kirchner
Catalogue édité par Nina Zimmer et Nadine Franci
Avec des contributions de Nadine Franci et Katharina Neuburger 
ainsi qu’une préface de Nina Zimmer
160 pages, env. 80 reproductions, 22 x 28 cm, broché,
Éditions Hirmer, 2025
Édition allemande: ISBN 978-3-7774-4642-4
Édition anglaise: ISBN 978-3-7774-4696-7

Vernissage
L’exposition sera inaugurée le jeudi 11 septembre 2025, à partir de 18:30. Ce soir-là, l’entrée sera libre.

Commissaire d’expositionNadine Franci, conservatrice du département des dessins et arts graphiques Kunstmuseum Bern

KUNSTMUSEUM BERN
Hodlerstrasse 8–12, 3011 Berne

20/08/25

Exposition Soulages, une autre lumière. Peintures sur papier @ Musée du Luxembourg, Paris

Soulages, une autre lumière
Peintures sur papier 
Musée du Luxembourg, Paris
17 septembre 2025 - 11 janvier 2026

Pierre Soulages a toujours refusé d'établir une hiérarchie entre les différentes techniques qu'il utilise. À côté des peintures sur toile, il est également l'auteur d'un ensemble considérable de peintures sur papier qu'il a mené, avec quelques interruptions tout au long de son parcours pictural, jusqu'au début des années 2000. D'une certaine façon, on peut dire que son œuvre commence sur le papier avec, dès 1946, des peintures aux traces larges et affirmées, réalisées au brou de noix, qui vont véritablement voir son oeuvre se distinguer des autres démarches abstraites de l'époque.

En 1948, alors qu'il vient à peine de commencer à exposer, il est invité à une manifestation itinérante sur la peinture abstraite française dans les musées allemands, en compagnie d'artistes beaucoup plus âgés. C'est une de ses peintures qui est choisie pour l'affiche et va contribuer à le faire connaître.Privilégiant le brou de noix dans les premières années, Pierre Soulages reviendra souvent à cette matière qu'utilisent les  ébénistes et dont il aime les qualités de transparence et d'opacité, de luminosité également en contraste avec le blanc du papier. Il emploiera aussi l'encre et la gouache pour des oeuvres dont les formats en général restreints ne cèdent en rien à la puissance formelle et à la diversité.

L'oeuvre sur papier de Pierre Soulages qui fut longtemps conservé par l'artiste, a été moins souvent montré que les peintures sur toile et rarement rassemblé dans des expositions à part entière. Il constitue pourtant un ensemble indispensable à la compréhension de sa peinture. Cette exposition présente 130 œuvres dont plus d'une trentaine inédites.

Exposition produite par le GrandPalaisRmn

Cette exposition a bénéficié des prêts exceptionnels du Musée Soulages, Rodez.

Commissariat : Alfred Pacquement
Directeur honoraire du Musée national d'art moderne, Centre Pompidou


Pierre Soulages Catalogue
Soulages, une autre lumière. 
Peintures sur papier
Catalogue de l'exposition
GrandPalaisRmnEditions, 2025
208 pages, 160 illustrations, 40 €
En librairie le 10 septembre 2025
En vente dès parution dans toutes les librairies 
© GrandPalaisRmnÉditions, 2025

Sommaire

Entretien avec Colette Soulages
[avec un avant-propos d’Alfred Pacquement]

Tout a commencé sur le papier
Alfred Pacquement

Les peintures sur papier de Soulages et les expositions
Camille Morando

Les Ateliers de Soulages (extraits)
Michel Ragon

Soulages, papiers, Japon
Benoît Decron

Annexes
Présentation biographique
Expositions de peintures sur papier
Bibliographie sélective
OEuvres et documents exposés

Musée du Luxembourg
19 rue de Vaugirard, 75006 Paris

17/08/25

Antoni Clavé @ Galerie Minsky, Paris

Antoni Clavé
Galerie Minsky, Paris
18 septembre - 18 octobre 2025

Photographie : Antoni Clavé à Montparnasse
Antoni Clavé à Montparnasse 
© Archives Antoni Clavé

Antoni Clavé
Antoni Clavé 
Nature morte au compotier, 1945 
Huile sur panneau d'Isorel, 81 cm x 65 cm
Photo Courtesy Galerie Minsky

Antoni Clavé
Antoni Clavé
Guerrier, c. 1962 
Technique mixte sur papier marouflé 
sur panneau, 74,5 x 54,5 cm
Photo Courtesy Galerie Minsky

La Galerie Minsky souhaite accompagner la redécouverte de l’artiste catalan Antoni Clavé. Elle présente à Paris une lecture sensible et incarnée de l’oeuvre d’un artiste entre deux mondes : l’Espagne et la France, le théâtre et la peinture, l’intime et le monumental. Alors qu’une rétrospective d’envergure se prépare au centre d’art Palau Martorell à Barcelone, la Galerie Minsky présente à Paris pour la première fois une vingtaine d’oeuvres d’Antoni Clavé (1913–2005). Cette exposition couvre les années 1945 à 1975, une période qui témoigne de ses différentes évolutions.

L’exposition présente l’univers de Clavé, à la fois théâtral, lyrique, intuitif et symbolique. Dès les années 40, le peintre catalan installé récemment à Paris développe un style singulier, entre raffinement intimiste et expérimentation formelle. Inspiré par les Nabis et profondément marqué par sa rencontre avec Picasso en 1944, Clavé explore un large registre de médiums : peinture, collage, gravure où s’entremêlent décors et costumes. En 2015, le Musée Picasso de Münster lui a dédié une exposition intitulée Antoni Clavé - Ein Spanier in Paris.

L’exposition réunit une vingtaine d’oeuvres majeures, de la Nature morte au compotier (c. 1945) à la série emblématique des Rois et Guerriers des années 60, en passant par le triptyque de paravents conçu en 1949 pour la pièce de théâtre Carmen dans les Ballets de Roland Petit. Ce volet scénographique, essentiel dans sa pratique, est mis en lumière ici : Antoni Clavé reste en dialogue avec le théâtre, et ce, tout au long de sa carrière.

Ses oeuvres deviennent des objets-théâtres, où lettres, mots, fragments et textures agissent comme des personnages silencieux. On y retrouve un goût marqué pour les techniques mixtes et l’assemblage, dans un désordre bouillonnant, proche de celui de son atelier.

Antoni Clavé joue sur les tensions : entre figuration et abstraction, entre brutalisme et poésie, entre ordre et chaos. Les matériaux pauvres qu’il emploie tels que le carton, bois, tissu ou des encore objets usés prennent une force symbolique inattendue.

Ses oeuvres, comme son atelier, sont des juxtapositions vibrantes, riches de résonances intimes et collectives.

Antoni Clavé — Biographie

Né à Barcelone en 1913, Antoni Clavé débute très tôt dans le dessin : à 18 ans, il crée des bandes dessinées et des affiches publicitaires. Son premier métier est celui de peintre en bâtiment, une expérience qui façonne son approche artisanale de l’art. Entre 1934 et 1936, alors qu’il réalise des affiches de cinéma dans sa ville natale, il s’initie au collage et aux assemblages : papiers, cartons, matériaux de récupération, lithographies, plâtre, tissus, textures sales ou accidentées deviennent ses terrains d’exploration.

Exilé en France à la suite de la guerre civile espagnole, il s’installe à Paris, ville où il entre dans l’histoire de l’art moderne. Il est exposé dès 1957 par Ernst Beyeler dans sa mythique galerie de Bâle, puis en 1978 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. En 2006, une exposition d’Antoni Clavé a eu lieu à l’Espace d’Art Contemporain Fernet Branca.

Photographie : Antoni Clavé dans son atelier
Antoni Clavé dans son atelier, Saint-Tropez, 1968 
Photographie © Jacques Gomot
« Mon atelier à moi, c’est mon cocon, mon village, ma rue, mon quartier »
— Antoni Clavé
En 1963, Antoni Clavé s’installe au Cap-Saint-Pierre à Saint-Tropez, où il se fait construire une maison et un vaste atelier, bientôt complété par un second espace dédié à la gravure. Les estampes d’Antoni Clavé ont d’ailleurs été exposées en 2018 à la BnF à Paris.

GALERIE MINSKY
37 rue Vaneau, 75007 Paris

07/08/25

Rétrospective Suzanne Duchamp @ Kunsthaus Zürich

Rétrospective Suzanne Duchamp 
Kunsthaus Zürich
Jusqu'au 7 Septembre 2025

Le Kunsthaus Zürich consacre à SUZANNE DUCHAMP la première rétrospective au monde. Ses compositions minimalistes et pourtant graphiquement marquantes, associées à des titres suggestifs comme «Usine de mes pensées», sont entrées dans l’histoire de l’art et néanmoins source d’inspiration jusqu’à nos jours. Malgré son appartenance à l’une des familles d’artistes les plus célèbres, son oeuvre est restée jusqu’à présent largement inconnue du grand public. Cette exposition, qui réunit des prêts exceptionnels provenant d’institutions publiques et de collections privées renommées, rend à Suzanne Duchamp la place de premier plan qu’elle mérite.

Dadaïste, peintre, SUZANNE DUCHAMP (1889, Blainville-Crevon – 1963, Neuilly-sur-Seine) a laissé à la postérité une oeuvre aux multiples facettes dont certains éléments figurent dans des collections réputées, mais qui pour l’essentiel est surtout appréciée d’un public d’initié(e)s. Duchamp entretenait des liens étroits avec les avant-gardes de son époque et a enrichi l’histoire de l’art d’apports très personnels. Soeur de Marcel Duchamp, de Raymond Duchamp-Villon et de Jacques Villon, elle échangeait beaucoup avec eux. En 1919, elle a épousé l’artiste suisse Jean Crotti, dont le Kunsthaus Zürich possède des oeuvres clés, et avec qui Suzanne Duchamp a occasionnellement coopéré. La dernière exposition d’ampleur consacrée aux deux artistes a eu lieu en 1983 au Centre Pompidou, à Paris, en coopération avec la Kunsthalle Bern. Il est donc grand temps de mettre à l’honneur le travail de Suzanne Duchamp et d’en montrer toute la profondeur. Par son langage visuel subtil, esthétique et plein d’humour, elle incarne une combinaison hors du commun dans le mouvement dadaïste. Quelle ville conviendrait mieux que Zurich, cité natale de Dada, pour enfin donner à cette artiste d’exception toute l’attention qu’elle mérite?

SUZANNE DUCHAMP : À LA FOIS ABSTRAITE ET FIGURATIVE

Dans son art, Suzanne Duchamp a exploré des voies variées. À Paris, dans le sillage du cubisme, elle commence par se pencher sur la fragmentation d’intérieurs intimes et de paysages urbains, avant de se tourner vers le mouvement Dada. Ses oeuvres associent peinture et poésie dans une démarche expérimentale qui joue avec différents supports et matériaux.

Même si sa peinture évolue de plus en plus vers l’abstraction dans les années 1910, Suzanne Duchamp reste toujours fidèle à certains repères visuels, renforcés par des titres énigmatiques. En 1922, pour des raisons diffuses, elle rompt inopinément avec Dada pour se tourner vers une peinture figurative aux accents souvent ironiques et naïfs.

Dans les décennies qui suivent, elle crée des oeuvres contenant un large spectre de motifs, qui se caractérisent par des expérimentations sur les pigments et par l’importance structurante du dessin. En 1949, son influente amie Katherine S. Dreier la qualifie de « peintre semi-abstraite » – ce qui est une formulation pertinente pour une oeuvre échappant à toutes les conventions de l’histoire de l’art.

UNE EXPOSITION INTÉGRANT LES TOUTES DERNIÈRES RECHERCHES

Cette rétrospective réunit les oeuvres dadaïstes de Suzanne Duchamp et des travaux datant de ses phases antérieures et postérieures de création. Talia Kwartler, commissaire invitée, a étudié pendant plusieurs années l’oeuvre de Suzanne Duchamp et soutenu une thèse de doctorat sur cette artiste au University College de Londres. En 2024, elle a été chargée de cours à l’université de Zurich sur le thème des femmes dans le mouvement Dada.

La détermination de Talia Kwartler a permis de transformer la présentation prévue en une vaste rétrospective, la première jamais consacrée à cette artiste, élaborée avec Cathérine Hug, commissaire au Kunsthaus et spécialiste du mouvement Dada. L’exposition s’inscrit ainsi dans la longue tradition des présentations de Dada organisées au Kunsthaus Zürich depuis 1966, et peut être considérée comme un événement majeur dans la recherche en histoire de l’art. Réunissant près de 50 tableaux, 20 travaux sur papier ainsi que des documents d’archives rares et des photographies d’époque, cette rétrospective offre une vue d’ensemble de toute l’oeuvre de Suzanne Duchamp. De nombreux travaux n’ont été redécouverts qu’au terme d’intenses recherches. Parmi les prêteurs figurent des institutions comme le MoMA de New York, le Philadelphia Museum, l’Art Institute de Chicago, le Centre Pompidou de Paris, la Bibliothèque nationale de France et la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet à Paris, le Musée des Beaux-Arts de Rouen, mais aussi d’importantes collections privées comme la Bluff Collection et la collection de Francis M. Naumann et Marie T. Keller. Cette rétrospective a vu le jour en étroite collaboration avec l’Association Duchamp Villon Crotti.

SUZANNE DUCHAMP : PUBLICATION

Suzanne Duchamp Retrospective Catalogue
À l’occasion de l’exposition, la première monographie consacrée à Suzanne Duchamp vient de paraître, avec de nombreuses reproductions. L’ouvrage comporte une biographie détaillée rédigée par Talia Kwartler, ainsi que des articles d’historiennes de l’art comme Carole Boulbès, Cathérine Hug et Effie Rentzou, auxquels s’ajoutent des perspectives artistiques de Jean-Jacques Lebel (interview) et Amy Sillman (images). La postface est signée Anne Berest, autrice de best-sellers. Cet ouvrage de 192 pages est paru aux éditions Hatje Cantz.
Cette rétrospective est une coopération avec la Kunsthalle Schirn de Francfort (10 octobre 2025 - 11 janvier 2026), où le commissariat est assuré par Ingrid Pfeiffer.

KUNSTHAUS ZURICH  
Heimplatz, 8001 Zurich

Retrospective Suzanne Duchamp 
Kunsthaus Zürich, 6 Juin - 7 Septembre 2025

03/08/25

Guillaume Bresson @ Musée de Grenoble - "En regard" des collections permanentes du musée

Guillaume Bresson. En regard
Musée de Grenoble
Jusqu'au 28 septembre 2025

Guillaume Bresson - Musée de Grenoble
© Courtesy Musée de Grenoble

Dans le cadre du cycle « En regard », le Musée de Grenoble propose à des artistes contemporains de se confronter à ses collections permanentes. Après Pierre Buraglio et sa rencontre avec Philippe de Champaigne, c’est au tour de Guillaume Bresson d’explorer les chefs-d’oeuvre du musée. 

Né en 1982 à Toulouse et formé aux Beaux-Arts de Paris, GUILLAUME BRESSON est une figure majeure de la peinture française. Vivant à New York après Paris et Berlin, le peintre est connu pour ses toiles hyperréalistes dans lesquelles il met en scène, de manière très chorégraphiée, des personnages en proie à des combats dans des scènes de rue. S’il s’inspire de la peinture classique avec des références à la peinture religieuse et d’histoire, il ancre son oeuvre dans le présent, en raccrochant ses créations à des problématiques sociales actuelles. Pour parvenir à cette précision photographique, le peintre commence son travail par des séances de photographie préparatoires avec modèles dans son atelier. Ceux-ci se prêtent à la mise en scène de leurs corps, proposant des poses et des mouvements théâtralisés qui évoquent la peinture baroque. À travers un travail de montage, l’artiste isole et détache ensuite les corps avant de les réagencer en groupe. Guillaume Bresson construit ainsi des tableaux dans lesquels le langage corporel occupe une place centrale dans la création du récit.

Après s’être confronté aux peintures d’Horace Vernet du Château de Versailles, Guillaume Bresson a répondu à l’invitation du Musée de Grenoble où il propose un dialogue avec les tableaux historiques et modernes de la collection. À travers une trentaine d’oeuvres qui jalonnent le parcours permanent du XVIIe siècle à nos jours, l’artiste a soigneusement composé l’accrochage, en correspondance, tissant des liens à la fois formels et thématiques, une rencontre qui selon les siècles, est furtive, en continuité ou conflictuelle.

Commissaire de l'exposition : Sébastien Gokalp, Directeur du musée de Grenoble

Une exposition organisée en partenariat avec la Galerie Nathalie Obadia , Paris/Bruxelles.
Avec le soutien de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles.

MUSÉE DE GRENOBLE
5 place Lavalette - 38000 Grenoble 

Guillaume Bresson. En regard
Musée de Grenoble, 14 juin - 28 septembre 2025

26/07/25

Eija-Liisa Ahtila @ Galerie Marian Goodman, Paris - Exposition "On Breathing"

Eija-Liisa Ahtila, On Breathing 
Galerie Marian Goodman, Paris
5 septembre – 4 octobre 2025

Eija-Liisa Ahtila
Eija-Liisa Ahtila
On Breathing, 2024 
Single channel installation. Image 4K UHD 
Audio 2.0. 9 min. 45 sec. en boucle. Crystal Eye 2024 
© Eija-Liisa Ahtila, courtesy Galerie Marian Goodman
Un arbre peut-il être un protagoniste ou un espace ? Comment, à travers l'action, cela affecterait-il les règles de la narration ?—Eija-Liisa Ahtila
La Galerie Marian Goodman présente une nouvelle exposition d’Eija-Liisa Ahtila qui dévoile pour la première fois en France deux grandes œuvres vidéo, On Breathing et APRIL ≈ 61°01’ 24°27’ (2024). Reconnue internationalement pour ses installations cinématographiques, Eija-Liisa Ahtila remet en question la notion de perspective dans l'image en mouvement et construit une expérience où plusieurs temporalités et espaces coexistent. Dans le prolongement de ses recherches menées au cours de la dernière décennie, les œuvres de l'exposition explorent chacune à leur manière des formes de narration et de modes de présentation conçues autour de la nature et du vivant. Abandonnant un point de vue anthropocentrique, Eija-Liisa Ahtila cherche à rendre visible le monde non-humain et en particulier les arbres. Alors que On Breathing dépeint les entrelacs délicats d’un arbre et de la brume matinale, APRIL capture le passage silencieux d'une saison à une autre, à travers des déplacements subtils de l’espace entre les arbres et l’observation attentive de la forêt. 

Au rez-de-chaussée de la galerie, On Breathing (2024), une projection d’une durée de 9 minutes, s’apparente à un poème visuel qui met l'accent sur le mouvement lent et hypnotique de la brume s’évapororant autour d’un chêne. Ce phénomène matinal est typique des conditions automnales et hivernales, lorsque la mer demeure plus chaude que l'air et le sol environnants. Le déplacement de la brume et le son qu'elle produit dans les branchages évoquent poétiquement une respiration végétale. « L'air autour du chêne semble tangible, et l'espace à l'intérieur devient réel, comme si, pour un instant, la respiration de l'arbre devenait perceptible », explique l’artiste.

Eija-Liisa Ahtila, qui recourt fréquemment de plusieurs écrans et split-screens pour révéler simultanément différents aspects d'un même récit, utilise ici des incrustations vidéo afin de superposer des temporalités distinctes. La dérive du brouillard et son interaction avec les feuilles, le rythme et les plans de la caméra ; tout concourt à composer un tableau animé singulier.

Envisageant ses œuvres récentes comme un continuum, l'artiste remarque que chaque processus créatif la conduit naturellement vers le suivant. Depuis 2011, elle a ainsi progressivement remplacé les protagonistes humains par des arbres ou d’autres organismes vivants, donnant naissance à une série d'œuvres qui abordent « le récit écologique de l'image en mouvement ». Cette nouvelle orientation remet en question la relation contemporaine entre nature et humanité, ainsi que la frontière artificielle séparant les êtres humains et le reste du vivant. « J'ai tenté de développer des approches visuelles et des méthodes de narration qui pourraient nous montrer une voie pour sortir de l'anthropocentrisme et permettre la présence d'espèces non humaines dans notre imaginaire », affirme Eija-Liisa Ahtila.

Au niveau inférieur de la galerie, APRIL ≈ 61°01’ 24°27’(2024), exposée pour la première fois au musée Kröller-Müller aux Pays-Bas, immerge les visiteur·euse·s dans la forêt du parc naturel d'Aulanko, en Finlande, à proximité de la ville natale de l’artiste. Connue comme un environnement naturel encore préservé de l'activité humaine, cette forêt a été filmée pendant deux années consécutives, en 2022 et 2023, entre la fin mars et le mois de mai. Si le titre de l'œuvre se réfère au mois d’avril associé à la régénération de la nature, l'installation longue de près de 12 mètres et composée de huit écrans de projection, montre la transition subtile entre la fin de l'hiver et l’arrivée de l’été. Les huit séquences sont agencées de manière chronologique : de gauche à droite, la forêt apparaît d’abord aux premiers moments de la fonte des neiges, jusqu'à l'arrivée prématurée de l'été.

L'échelle et l’horizontalité de l'installation évoquent Horizontal (2011), oeuvre emblématique de l’artiste, née de sa volonté de représenter un sapin géant dans son intégralité. Pour éviter les distorsions liées à l’usage d’un objectif grand angle, Eija-Liisa Ahtila avait choisi de capturer l’arbre en plusieurs sections horizontales, avant de le présenter lui aussi sous la forme horizontale sur une série de six écrans de projection.

Avec APRIL, la forêt envisagée comme un écosystème où les arbres et une multitude d'organismes interagissent en permanence, est pour la première fois au centre de l'attention de l'artiste. La source de l'œuvre est la vie sylvestre, où chaque être singulier est un élément intégré de l'ensemble et où cet ensemble existe en retour dans cet être singulier. Pour créer un langage cinématographique adapté au sujet, les mouvements de caméra dans chacune des huit sections sont fluides et asynchrones, alternant ralentis et arrêts momentanés. « Le thème d'APRIL est la spatialité de l'être, le changement constant et la prise de forme de la forêt, qui est sa qualité fondamentale », explique Eija-Liisa Ahtila.

Eija-Liisa Ahtila est née à Hämeenlinna, en Finlande, en 1959. Elle a reçu de nombreux prix au cours des deux dernières décennies, dont récemment le titre de Commandeur de première classe de l'Ordre de la Rose blanche de Finlande (2020). Elle vit et travaille à Helsinki.

Les oeuvres d'Ahtila sont largement exposées depuis le début des années 1990. L'exposition « The Power of Trees », incluant Horizontal, est visible jusqu'au 14 septembre 2025 à la Shirley Sherwood Gallery of Botanical Art, Kew Gardens, Richmond, près de Londres. Récemment, elle a présenté des expositions personnnelles au Serlachius Manor en Finlande (2024) ; au Kröller-Müller Museum aux Pays-Bas (2024) ; à l'Ulrich Museum of Art à Wichita aux États-Unis (2022) ; à la National Gallery of Art à Vilnius en Lituanie (2021) ; au M Museum à Louvain en Belgique (2018) et au Serlachius Museum Gösta à Mänttä en Finlande (2018). Précedemment son travail a fait l’objet d’expositions monographiques dans de nombreuses institutions telles que l'Australian Centre for the Moving Image à Melbourne (2017) ; Guggenheim Bilbao en Espagne (2016) ; Albright-Knox Gallery à Buffalo aux Etats-Unis (2015) ; Oi Futuro à Rio de Janeiro au Brésil; Kiasma à Helsinki en Finlande (2013) ; Moderna Museet à Stockholm en Suède (2012); le Carré d’Art à Nîmes (2012) ; Museo del Palacio de Bellas Artes à Mexico au Mexique (2012) ; Art Institute of Chicago aux Etats-Unis (2011) ; Parasol Unit à Londres au Royaume-Uni (2010) ou encore le Jeu de Paume à Paris (2008). Eija-Liisa Ahtila a été membre du jury au Festival du film de Venise en 2011 et présidente du jury du FIDMarseille en 2013. 

GALERIE MARIAN GOODMAN 
79 rue du Temple, 75003 Paris

25/06/25

Vija Celmins @ Fondation Beyeler, Riehen / Bâle

Vija Celmins
Fondation Beyeler, Riehen / Bâle
15 juin – 21 septembre 2025

Vija Celmins Art
Vija Celmins
Snowfall #1 (Chute de neige #1), 2022-2024
Huile et alkyde sur lin, 132 x 184 cm 
Glenn and Amanda Fuhrman Collection, New York City, États-Unis 
© Vija Celmins, Courtesy Matthew Marks Gallery, 
Photo: Aaron Wax, Courtesy Matthew Marks Gallery

Vija Celmins Art
Vija Celmins
Astrographic Blue (Bleu astrographique), 2019-2024
Huile sur toile, 50 x 33 cm 
Matthew Marks Gallery
© Vija Celmins, Courtesy Matthew Marks Gallery, 
Photo: Aaron Wax, Courtesy Matthew Marks Gallery

Vija Celmins Art
Vija Celmins 
Untitled (Web #1) [Sans titre (Toile #1)], 1999
Fusain sur papier, 56,5 x 64,9 cm, Tate, 
ARTIST ROOMS, Londres, Royaume-Uni 
© Vija Celmins, Courtesy Matthew Marks Gallery, 
Photo: Tate

La Fondation Beyeler présente l’une des plus importantes expositions personnelles jamais consacrées à l’artiste américaine VIJA CELMINS (*1938, Riga) en Europe. Connue pour ses peintures et ses dessins envoûtants de galaxies, de surfaces lunaires, de déserts et d’océans, Vija Celmins nous invite à ralentir, à observer de près et à nous immerger dans les surfaces captivantes de ses œuvres. Telles des toiles d’araignée, elles nous happent et nous incitent à contempler les tensions entre surface et espace, proximité et distance, immobilité et mouvement. Organisée en étroite collaboration avec l’artiste, l’exposition réunit environ 90 œuvres, principalement des peintures et des dessins, de même qu’un petit nombre de sculptures et d’œuvres graphiques.

Née à Riga (Lettonie) en 1938, Vija Celmins fuit son pays natal en 1944 avant d’émigrer avec sa famille aux États-Unis en 1948. Elle grandit à Indianapolis puis part suivre des études d’art à Los Angeles, avant de s’installer au Nouveau-Mexique, à New York et enfin à Long Island, où elle vit et travaille aujourd’hui. Son travail, tenu en très haute estime, est prisé tant par les musées que par les collections privées de tout premier plan. Cependant, les occasions de face-à-face approfondi avec ses œuvres sont extrêmement rares, dû entre autres au fait qu’au fil de sa carrière l’artiste n’a réalisé qu’environ 220 peintures, dessins et sculptures. Vija Celmins a toujours travaillé à son propre rythme, refusant de se plier aux courants dominants du monde de l’art et maintenant une attention résolue à sa pratique minutieuse.

L’exposition propose un aperçu très complet d’une carrière remarquable qui s’étend sur six décennies, présentant des ensembles soigneusement sélectionnés de peintures, de dessins, d’œuvres graphiques et de sculptures. S’ouvrant sur une sélection d’importantes peintures d’objets du quotidien datant des années 1960, l’exposition culmine avec une salle de magistrales peintures récentes de neige tombant d’un ciel nocturne, qui évoquent tout le mystère du cosmos.

Vija Celmins Art
Vija Celmins 
Lamp #1 (Lampe #1), 1964
Huile sur toile, 62,2 x 88,9 cm
Vija Celmins, Courtesy Matthew Marks Gallery
© Vija Celmins, Courtesy Matthew Marks Gallery
Photo: Aaron Wax 

Vija Celmins Art
Vija Celmins
Clouds (Nuages), 1968
Graphite sur papier, 34,9 x 47 cm
Collection Ayea + Mikey Sohn, Los Angeles
© Vija Celmins, Courtesy Matthew Marks Gallery
Photo: McKee Gallery, New York

L’exposition débute avec les peintures réalisées par Vija Celmins de 1964 à 1968, lorsqu’elle vivait dans un atelier sur Venice Beach à Los Angeles. À la différence de nombreux·ses artistes travaillant dans la ville dans les années 1960, Vija Celmins n’était pas attirée par la lumière et les couleurs éclatantes de Californie. Son univers personnel était principalement d’ordre intérieur. En 1964, elle réalise un ensemble de tableaux représentant chacun un objet ou un appareil du quotidien, parmi eux une assiette, un radiateur, une plaque chauffante et une lampe. Inspirée par les œuvres de Giorgio Morandi et Diego Velázquez vues lors d’un voyage en Italie et en Espagne en 1962, et prenant ses distances avec les couleurs vives du pop art, elle utilise une palette sourde de bruns et de gris, agrémentée d’occasionnels éclairs de rouge électrique.

Pendant les deux années suivantes, de 1965 à 1967, Vija Celmins réalise plusieurs peintures basées sur des images de la Seconde Guerre mondiale et d’autres conflits trouvées dans des livres et des magazines ; des bombardiers suspendus dans un ciel gris ou écrasés au sol, un homme en feu s’enfuyant d’une voiture embrasée, les émeutes raciales de Los Angeles en couverture du magazine Time. Silencieux et statiques, ces tableaux inquiétants évoquent à la fois la mémoire de la guerre et une réalité plus récente, dans laquelle l’omniprésence des images produit un effet de distanciation.

Vija Celmins Art
Vija Celmins 
Untitled (Big Sea #2) [Sans titre (Grand océan #2)], 1969
Graphite sur fond acrylique sur papier, 85,1 x 111,8 cm
Collection privée
© Vija Celmins, Courtesy Matthew Marks Gallery

Vija Celmins Art
Vija Celmins 
Untitled (Coma Berenices #4) 
[Sans titre (Coma Berenices #4))], 1973
Graphite sur fond acrylique sur papier, 31,1 x 38,7 cm 
UBS Art Collection 
© Vija Celmins, Courtesy Matthew Marks Gallery

Vija Celmins Art
Vija Celmins
Untitled (Regular Desert) 
[Sans titre (Désert régulier)], 1973
Graphite sur fond acrylique sur papier, 30,5 x 38,1 cm 
Collection privée 
© Vija Celmins, Courtesy Matthew Marks Gallery, 
Photo: Kent Pell

Vija Celmins Art
Vija Celmins 
Desert Surface #1 ( Surface du désert #1), 1991
Huile sur bois, 45,7 x 54,9 cm 
Mary Patricia Anderson Pence 
© Vija Celmins, Courtesy Matthew Marks Gallery

De 1968 à 1992, Vija Celmins se consacre presque exclusivement au dessin. Elle continue de travailler à partir de photographies, trouvées dans des livres et des magazines ou prises par elle-même. Ses sujets sont les nuages ainsi que la surface de la lune, du désert et de l’océan. Elle commence avec un ensemble de dessins de paysages lunaires basés sur des images prises à la fin des années 1960 par les sondes lunaires américaines, qui rapportent dans les foyers de nombreux·ses habitant·e·s de la planète des gros plans d’un lieu jusqu’alors inaccessible. En 1973 s’ensuivent de premiers dessins de galaxies basés sur des images des télescopes de la NASA. Ces photographies incitent Vija Celmins à créer des images qui transforment en expérience visuelle la tension entre la profondeur de ces espaces et la surface de l’image – un élan qui anime encore et toujours son travail.

Pendant ses années de résidence à Los Angeles, Vija Celmins arpente les déserts de Californie, du Nevada et du Nouveau-Mexique, où elle réside également plusieurs mois. Fascinée par ces paysages démesurés, elle commence à représenter par le dessin le silence et la sensation de temps suspendu qui les caractérisent. Vers la fin des années 1970, Vija Celmins crée une sculpture qui donne une forme nouvelle à sa confrontation avec la réalité. To Fix the Image in Memory I-XI, 1977–1982, comprend onze pierres différentes ramassées dans le désert du Nouveau-Mexique, présentées côte à côte avec leurs doubles ; onze copies de bronze, peintes de telle manière que l’original et sa réplique puissent à peine être distingués à l’œil nu.

Les images de Vija Celmins sont basées sur des photographies ou, dans le cas de ses rares sculptures, sur des objets servant de modèles. Celmins use de ces matrices comme d’un outil, qui lui permet de ne pas avoir à se soucier de questions de composition et de cadrage. Cependant, elle ne réalise pas de copie d’un original ; il ne s’agit pas de photoréalisme. On pourrait plutôt dire que Vija Celmins recrée ou reconstitue l’original. Ses images sont construites d’innombrables couches de graphite ou de fusain sur papier et de peinture à l’huile sur toile. C’est comme si Vija Celmins cherchait à saisir et à tracer l’inconcevable immensité à la main. Ceci apparaît tout particulièrement dans ses nombreuses peintures de ciels nocturnes étoilés, un motif qui fascine Vija Celmins depuis ses débuts.

En 1992, Vija Celmins tombe sur des illustrations de toiles d’araignée dans un livre. Attirée par leurs fils fragiles et leurs formes concentriques, elle réalise un ensemble de peintures et de dessins au fusain. Cette exploration se poursuit avec des peintures d’objets aux surfaces texturées ; la couverture d’un livre japonais, l’émail craquelé d’un vase coréen, la surface éraflée d’ardoises dénichées dans des brocantes à Long Island, la forme grêlée d’un coquillage travaillé par l’érosion – chacune de ces peintures proposant une méditation exquise sur le passage du temps.

Dans la dernière salle de l’exposition, cette méditation se poursuit avec les tableaux les plus récents de Veja Celmins, qui sont parmi les plus vastes qu’elle ait jamais réalisés. Basés sur des photographies de flocons de neige illuminés dans un ciel nocturne, ils véhiculent un sens profond de silence et de révérence émerveillée.

Pour accompagner l’exposition, la Fondation Beyeler présente « Vija », un court-métrage des cinéastes de renom Bêka & Lemoine. En 30 minutes, le film dessine un portrait tout en spontanéité de l’artiste, qui partage ses réflexions sur la pratique de toute une vie, ouvrant les portes de son atelier et les tiroirs de ses archives. Le portrait entraîne les spectatrices et les spectateurs dans un voyage au fil des formes, des images et des pensées qui nourrissent la sensibilité incomparable de Vija Celmins.

L’exposition « Vija Celmins » est placée sous le commissariat de Theodora Vischer, Chief Curator de la Fondation Beyeler, et de l’écrivain et commissaire d’exposition James Lingwood.

Un catalogue richement illustré, réalisé sous la direction de Theodora Vischer et James Lingwood pour la Fondation Beyeler et conçu par Teo Schifferli, est publié au Hatje Cantz Verlag, Berlin. Sur 208 pages, il réunit « Notes » de Vija Celmins et de brèves contributions de Julian Bell, Jimena Canales, Teju Cole, Rachel Cusk, Marlene Dumas, Katie Farris, Robert Gober, Ilya Kaminsky, Glenn Ligon et Andrew Winer, avec une introduction de James Lingwood.

FONDATION BEYELER
Baselstrasse 101, 4125 Riehen