Jeff Wall reçoit le Prix International de la Photographie 2002 de la Fondation Hasselblad
FONDATION HASSELBLAD
Ekmansgatan 8, 412 56 Göteborg, Suède
www.hasselbladfoundation.org
La Fondation Hasselblad a décerné le Prix international de la Photographie 2002 au photographe canadien JEFF WALL. Le prix doté d'un montant de 500 000 couronnes suédoises et d'une médaille d'or sera remis le 9 novembre 2002 lors d'une cérémonie qui se déroulera à Göteborg en Suède. A cette occasion, sera inaugurée une nouvelle exposition des œuvres de Jeff Wall organisée par le Centre Hasselblad.
La Fondation Hasselblad a décidé de remettre le Prix 2002 à Jeff Wall pour les motifs suivants :
Depuis plus de vingt ans, Jeff Wall donne à voir un étonnant corpus artistique, qui utilise la photographie de façon très novatrice, contribuant ainsi à donner au support photographique une place essentielle dans l’art contemporain. A travers des images soigneusement mises en scène, parfois soumises à des modifications digitales, présentées dans des caissons lumineux empruntés à l’univers publicitaire, il explore quantité de thèmes politiques et sociaux, tels que la violence urbaine, la pauvreté, la guerre des sexes, la lutte des classes, l’histoire, la mémoire, la représentation, parmi d’autres. Qu’elles soient en couleur ou en noir et blanc, les photographies de l’artiste entretiennent un dialogue continu avec la grande peinture de genre du dix-neuvième siècle, et nous le montrent sous les aspects de ce que Baudelaire appelait un « peintre de la vie moderne ».
Le Jury du Prix 2002 qui a soumis sa proposition au Conseil d'administration de la Fondation se compose de M. Régis Durand (président), Directeur du Centre national de la photographie, Paris, Madame Kate Bush, conservatrice, Londres, M. Sune Nordgren, directeur, Gateshead, Grande Bretagne, M. Urs Stahel, conservateur, Winterthur, Suisse et Madame Tove Thage, conservatrice, Hillerød, Danemark.
Jeff Wall est né à Vancouver, au Canada, en 1946. Il produit ses premières oeuvres à la fin des années soixante, avant de s’interrompre pour étudier l’histoire de l’art; il reprendra son activité artistique, sur des bases différentes, au milieu des années soixante-dix. Entre-temps, la photographie lui est apparue comme un support ouvert, grâce auquel il peut satisfaire des aspirations en apparence contradictoires : son intérêt, d’une part, pour un type de représentation « néoréaliste », documentaire ; et, de l’autre, la possibilité de faire référence à certains aspects de la peinture. Le modèle dont il s’inspire est le cinéma — ou plutôt, pour reprendre ses propres termes, la « cinématographie », dont il reprend certaines des techniques et des méthodes.
Ses photographies, grandes images couleur sur film transparent, qu’il présente dans des caissons d’aluminium lumineux du type de ceux dont la publicité fait couramment usage, témoignent d’une mise en scène soigneusement orchestrée, dans laquelle interviennent acteurs et accessoires. Cet objet visuel nouveau pour l’époque (mais souvent imité depuis) offre l’attrait et l’éclat de l’image filmique, en même temps que l’ampleur et l’ordonnance tranquille de la peinture traditionnelle ainsi que la densité et le réalisme pur de la photographie de rue. Il s’agit en fait d’une « monumentalisation », non seulement en taille mais aussi en complexité, de l’image de rue.
Au nombre des thèmes les plus fréquemment explorés dans les débuts, figurent des scènes de la vie urbaine (Milk, 1984 ; Diatribe, 1985 ; The Storyteller, 1986), de tension raciale (Mimic, 1982) et de pauvreté (Bad Goods, 1984, Eviction Struggle, 1988), toutes fortement connotées sur le plan politique. Mais on trouve aussi des paysages urbains — The Old Prison, 1987 ; Coastal Motifs, 1989 ; The Crooked Path, 1991 — dont toute théâtralité ou narrativité semblent absentes.
Les œuvres de Jeff Wall comportent souvent un aspect énigmatique — nous invitant à l’interprétation, mais aussi à laisser notre imagination suivre son cours librement. La composante imaginaire du travail se trouve renforcée par l’utilisation de la technologie digitale dans certaines des œuvres les plus récentes, telles que Dead Troops Talk, 1991--92 ; A Sudden Gust of Wind (after Hosukai), 1933; ou encore The Flooded Grave, 1998-2000. Grâce aux montages complexes et à la stratification que permet la technologie, le fantastique devient un élément important du travail. Pourtant, l’ambiguïté qui caractérise bien des œuvres n’est pas uniquement un effet de la technique utilisée. Dans les grandes photographies en noir et blanc produites par Jeff Wall ces dernières années, quelque chose semble s’être immobilisé, comme si la tension dramatique, l’aspect plus théâtral de son travail, avaient opéré un recul. Mais un mystère demeure, une sorte de quiétude trompeuse des apparences simples (Cyclist, 1996; Passerby, 1996). Ses intérieurs, en particulier, paraissent hantés, ainsi qu’en témoigne l’œuvre de 1996 intitulée Housekeeping.
Ce qui est si extraordinaire à propos de Jeff Wall, c’est que ses photographies, outre qu’elles sont splendides sur le plan visuel, sont toujours chargées de signification. Parfois, les significations s’imposent de façon claire et fulgurante. Mais le plus souvent, on les ressent comme diffuses, comme exigeant de nous une attention plus rapprochée et peutêtre aussi un acte d’imagination. La préparation et la production minutieuses apparaissent alors comme la condition permettant de donner forme aux différentes strates de signification ; pour autant, elles ne dont pas didactiques, mais ménagent toujours, pour le spectateur, un espace de liberté d’interprétation et d’associations personnelles.
Lorsque, reprenant à son compte l’expression de Baudelaire, Jeff Wall se décrit comme un « peintre de la vie moderne », il exprime ce qui le lie à ce grand moment du XIXe siècle qu’a représenté l’effondrement des genres et le surgissement de nouveaux thèmes, ainsi que son désir de retrouver quelque chose des énergies alors à l’œuvre. Mais, plus littéralement, il décrit aussi les thèmes dont il traite réellement, notamment la manière dont des situations individuelles apparaissent comme le produit de conditions sociales.
La photographie lui permet d’opérer la fusion entre l’intérêt qu’il voue aux images complexes produites par les plus belles œuvres peintes du XIXe et la fluidité réaliste de l’image mécanique. Et c’est grâce à cette fusion qu’il parvient à nous faire comprendre les élans contradictoires qui caractérisent la vie d’aujourd’hui, les changements constants qu’elle subit, la rapidité avec laquelle les humeurs et les conditions se transforment. Il offre à notre regard un nouvel objet visuel de toute beauté, que l’on peut aussi lire comme une splendide et fragmentaire « anthropologie de la vie contemporaine ».
Texte écrit en anglais par Régis Durand et traduit par Fabienne Durand-Bogaert et Christine Hammarstrand.
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