SANYU, l’écriture du corps
Musée Guimet
16 juin - 13 septembre 2004
Le Paris de l'après-guerre entend vivre dans l'euphorie « L'homme exaspéré, tendu [...] lève la tête, ouvre les yeux, reprend goût à la vie. Frénésie de danser, de dépenser, de pouvoir enfin marcher debout, crier, hurler, gaspiller. Un déchaînement de forces vives remplit le monde », écrit Fernand Léger. Les artistes venus des cinq continents se ruent à Montparnasse et une nouvelle génération de peintres se bouscule à la terrasse du Dôme et de la Rotonde, formant, aux dires de Marcel Duchamp, « la première colonie d'artistes vraiment internationale qui eût existé ». C’est dans ce Paris là, que SANYU - âgé de vingt ans - débarque. Il fait partie des premiers jeunes artistes chinois qui bénéficient du programme d'études mis en place par Cai Yuanpei, alors président de l'Université de Pékin, avec les autorités françaises.
Les années d'apprentissage : 1920-1930
D’autres artistes venus d’Asie sont installés à Paris comme en témoigne dans la première salle de l’exposition l’Autoportrait dans l’atelier de Foujita. Plutôt que de s'inscrire à l'Ecole nationale des Beaux-Arts, Sanyu préfère l'environnement moins traditionnel de l'Académie de la Grande Chaumière. On le voit croquer non sans humour les portraits des gens qui l’entourent. Les traits sont incisifs, souvent rehaussés de couleurs légères. Un ensemble d’aquarelles de ces années d’apprentissage est présenté dans la deuxième salle face à ses premières natures mortes peintes sur toile dans des tons clairs et lumineux. Toutefois, sa préoccupation majeure reste l’étude du nu, un genre où il va exceller. En effet il réalise un grand nombre d’esquisses, cernant avec brio et rapidité ses modèles, tels des épures. Une salle entière leur est consacrée.
A partir de 1929, Sanyu commence réellement à peindre des nus sur toile. Ce sujet de prédilection est abordé dans les deux salles suivantes. Comme Foujita, il représente des femmes étendues sur de simples aplats de couleur sans réel souci de profondeur. Pour ses nus, l’artiste japonais a mis au point une technique singulière. Il prépare ses toiles pour obtenir un fond lisse et laiteux puis il dessine au pinceau fin. Il semble que Sanyu ait cherché à s’en inspirer, en utilisant cependant une matière plus épaisse, reprenant le contour du dessin avec un cerné sombre en quête de la ligne idéale. Parfois, dans cette pâte onctueuse, il grave des motifs ornementaux à la façon des céramistes chinois qui incisent leur décor dans l'engobe frais. Econome de la couleur, sa palette se réduit au noir, au blanc et au rose. Néanmoins, dès cette époque, il est indiscutablement influencé par le milieu artistique parisien. Ses visages, encadrés de cheveux noirs coupés à la garçonne avec un œil de jais unique et immense, évoquent les portraits de Kiki. En écho à ce modèle légendaire de Montparnasse, Le violon d’Ingres – un tirage photographique d’après l’original de 1924 de Man Ray – montrant le dos de Kiki est exposé à côté de son profil exécuté en bronze par Pablo Gargallo en 1928, véritable trait d’union entre les surréalistes et les peintres de l’Ecole de Paris.
La maturité : 1930-1940
Dans les années trente, un homme va sortir Sanyu de l'anonymat en même temps qu'il contribuera à lui assurer des subsides au moment où sa famille en Chine n'a plus les moyens de l'aider. Henri-Pierre Roché (1879-1959), l'un des marchands d'art les plus avertis et les plus actifs de l'entre-deux guerres, saisit immédiatement le talent de Sanyu et en 1931, achète quelque 111 tableaux et 600 dessins. Sanyu, affranchi pour un temps de tout souci matériel, peint avec un nouvel enthousiasme. C'est d'ailleurs au cours de cette période féconde qu'il parvient à cette sorte d'amalgame invisible entre la perception occidentale de nature réaliste et la sérénité implicite de nature poétique de l'esthétique chinoise. Ses œuvres, à la fois figuratives, paisibles et harmonieuses enchantent.
Bien qu'il recourt le plus souvent à des sujets apparemment banals ou familiers, il parvient à les distancer du quotidien. Afin d’attester de ces créations, deux galeries offrent un ensemble de portraits animaliers suivi de compositions florales. Mais ce qui importe ici n’est pas le sujet lui-même mais sa faculté à le transposer dans l'univers poétique du visuel. Chevaux ou félins sont figurés dans des poses naturelles soulignant la sensualité de la vie, fleurs en pot ou en vase montent vers la lumière avec leurs tiges calligraphiques et leurs pétales éthérés, autant d’œuvres autonomes sorties de l’imaginaire du créateur.
L’intermède sportif et l’après-guerre : 1940-1966
Pendant une dizaine d’années , Sanyu va se battre sur un nouveau terrain, celui du sport. En effet, il avait mis au point un jeu, le ping-tennis, qu'il voulait voir adopter, espérant en retour une manne providentielle. Il ira jusqu'à Berlin pour présenter son invention aux commissaires du Comité des Jeux Olympiques en 1936, puis en 1948, il se rend à New-York, à nouveau pour argumenter et défendre son ping-tennis. Il peint moins et il faut attendre l’après-guerre pour le voir s’affairer dans son atelier de la rue de la Sablière à Montparnasse. Ses créations se teintent alors d’un modernisme inattendu : ses nus deviennent à la fois plus graphiques et plus monumentaux. Il parvient à les dépouiller de tout environnement. Ses lignes gagnent en puissance. A la fin de sa vie, il exécute de grandes compositions représentant de vastes paysages, étranges et sauvages. Ces larges perspectives ouvertes et comme illimitées peuplées de minuscules animaux renouent avec les solitudes tragiques des maîtres du paysage des Song du Nord (960- 1278). A la fois grandiose et raffiné, leur langage est déjà abstrait et lyrique. Ultime métamorphose d'un artiste chinois qui vient de porter la tradition picturale de son pays au seuil de la modernité. La plupart de ses derniers paysages sont aujourd’hui conservés au musée national d’Histoire de Taipei où Sanyu devait les présenter. Le destin en décide autrement. Sanyu meurt accidentellement en 1966. Il a fallu attendre le XXIe siècle pour les revoir en Occident dans le cadre de la première rétrospective qui lui est consacrée.
Exposition présentée au musée Guimet en coordination avec l’Association pour le Rayonnement des Arts Asiatiques (ARAA) et le soutien de la fondation Yageo. Sanyu, l’écriture du corps est parrainée par Radio France Internationale.
Commissariat de l'exposition : Jean-Paul Desroches
assisté de Catherine Pekovits, coordinatrice de l’exposition
Commissaire invité : Rita Wong
Musée national des arts asiatiques Guimet
6; place d’Iéna
75116 Paris