Exposition Art Contemporain > Lille
AMNESIA
Un projet franco-allemand pour la culture du souvenir européen
Ville de Lille, Musée de l’Hospice Comtesse
Jusqu'au 19 septembre 2010
Artistes : Marie Odile CANDAS SALMON, Markus DOHNE, Pierre FILLIQUET, Thomas LOHMANN, Eric MONBEL, PHILEMON & Arnaud VERLEY, Dimitri VAZEMSKY, Sabine WURICH
Marie Odile CANDAS SALMON, Ligne de démarcation, 2005-2006
Installation monumentale, 2m x 8m x 2m
Projection vidéo sur chenal grillagé en acier galvanisé
© Marie Odile Camdas Salmon. Courtesy de l’artiste
“Treize ans seulement après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, quelques mois après la signature du Traité de Rome, Cologne et Lille décidaient de sceller leurs destins, désormais européens, en créant un réseau de cités jumelles comprenant également Rotterdam, Turin et Esch-sur-Alzette.
Ce réseau, quelque cinquante années plus tard, est plus vivant que jamais, les six métropoles ayant été capables de renouveler leurs projets de coopération autour de problématiques aussi actuelles que la ville durable, le vivre ensemble, l’économie de la connaissance ou les industries culturelles.” (Extrait de l’édito du catalogue réalisé pour le volet lillois d’Amnésia, rédigé par Catherine Cullen, Adjointe au Maire, Déléguée à la Culture et Martine Filleul, Adjointe au Maire, Déléguée aux Relations Internationales).
Depuis le 10 juillet et jusqu’au 19 septembre 2010, la Ville de Lille accueille au musée de l’Hospice Comtesse une exposition d’art contemporain intitulée Amnésia. Un projet franco-allemand pour la culture du souvenir européen, issue de la coopération des villes jumelées Cologne et Lille.
Le concept du projet a été développé par Karola Fings, sous-directrice du Centre de documentation nazie de Cologne et par Sabine Würich, photographe. L’exposition a été présentée à Cologne du 22 août au 1er novembre 2009 avec le soutien du Président du Ministère de la Région Rhénanie-du-Nord-Westphalie, dans le cadre de l’année France-Rhénanie-du-Nord-Westphalie 2008-2009.
Les délégations Relations Internationales et Culture de la Ville de Lille ont été sollicitées par la ville de Cologne pour accueillir l’exposition à Lille en 2010, au musée de l’Hospice Comtesse, et développer le volet lillois par la présentation d’artistes régionaux.
Amnésia / Amnésie. Ce mot qualifie un trouble de la mémoire, voire une perte totale de la mémoire. Une amnésie n’efface pas seulement les souvenirs, mais également la notion d’événements à venir.
Or, connaître les contenus refoulés de la mémoire s’avère inéluctable pour l’avenir des individus et des sociétés. Dans cette quête, l’art peut servir de guide. Tel est le point de départ de ce projet qui interroge les traces laissées dans notre mémoire par le national-socialisme et la guerre. Que reste-t-il de ces expériences pour les générations futures ?
A travers leurs créations, des artistes contemporains français et allemands se sont intéressés à cette question. Le résultat montre que, si le collectif allègue un cadre du souvenir, le procédé individuel reste toutefois déterminant pour découvrir ce qui est représenté dans l’art. Ainsi, les œuvres présentées sont autant de points de vue subjectifs, montrant que les souvenirs se transforment constamment, qu’ils ne sont et ne peuvent être le reflet du passé historique, mais plutôt un indice pertinent des besoins et des intérêts de ceux qui, dans le présent, se souviennent.
Marie Odile CANDAS SALMON (Lille) explique à propos de son installation Ligne de démarquation (2005-2006) présentée à cette exposition : « Ce qui est en question, c’est la volonté d’effacer l’idée même de terre d’asile. Plus de terre, plus d’asile, mais l’inéluctable mise en état de clandestinité et de déplacement perpétuel. Une situation de survie où la mécanique du pouvoir impose la discipline du “corps docile″ et où tout refus d’assujettissement est perçu comme la mise en abîme de la légalité. Cette Installation renseigne sur l’errance, mais elle englobe aussi dans une dimension plus universelle toutes les déserrances tant physiques que mentales trop souvent condamnées à l’oubli. » (voir l’image en début de message)
Markus DÖHNE réfléchit au lien entre image(s) et mémoire : « Déjà très tôt, ma mémoire visuelle s’est mêlée à celle du grand public. En 1966, mon père acheta un téléviseur. Chaque soir, à table, nous regardions les informations. On pouvait y voir les guerres au Viêtnam, plus tard au Biafra, l’entrée des troupes du pacte de Varsovie en République Socialiste Tchécoslovaque. Ces images se sont imprimées dans ma mémoire. Cependant, elles font aujourd’hui aussi partie de la vie publique, c’est à dire de notre mémoire visuelle collective. Mais les images ont, en tant qu’images, leur propre réalité et leur propre histoire dans le procédé d’oubli et de souvenir. Ces dernières sont souvent transformées jusqu’à devenir méconnaissables, elles deviennent parfois même des chimères ou des icônes. Avec mon travail, j’aimerais rendre aux images leur vérité et à la vérité ses images. »
Markus DHONE, Sub rosa, 2009
78 x 172,5 x 4,2 cm. Argent, alkyde et laque sur bois
© VG Bildkunst, Bonn, 2010
Pierre FILLIQUET souligne le travail d’oubli sur lequel repose sa démarche artistique : « Mon travail paraît peut-être structuré mais la méthode, si tant est qu’elle existe, n’a pour seul but que de faire émerger l’intuition. Tout part de là. Il faut trouver un point de vue, un cadrage, une lumière pour aboutir à une image, mettre tous ses sens en action, mais sans y réfléchir réellement. Il faut parvenir à un état de perception absolument intuitive des lieux. C’est un vrai travail d’oubli, auquel tout le corps participe et qui s’apparente plus à une errance qu’à une promenade : on part à la recherche de quelque chose que l’on entrevoit, mais le chemin pour y arriver est très sinueux. »
Pierre FILLIQUET, Autopsies, 2007. 100 x 80 cm
Tirage lambda, contrecollé sur aluminium
Fonds Régional d’Art Contemporain Alsace
© Pierre Filliquet. Courtesy of the artist
Thomas LOHMANN présente ainsi son rapport au temps : « Le présent, l’actuel, est pour moi trop proche, il n’est pas possible d’en avoir une vue d’ensemble. C’est pourquoi je me concentre sur les années 1930 à 1960. Je ne peux me rapprocher d’un laps de temps qu’à partir du moment où il vient du passé, c’est-à-dire quand plus aucun élément essentiel ne vient s’y ajouter. Etant donné que, selon moi, le temps est perforé dans sa surface et n’est pas linéaire dans son déroulement, les contenus de mes travaux ont donc de la valeur dans tous les trous temporels. Je m’applique alors à mon travail. Au début du cycle d’une œuvre, je me concentre sur la recherche de la forme et de la couleur, pour ensuite – tel un pathologiste en pleine dissection – me rapprocher, en peignant, des âmes disponibles (peinture) du sujet choisi. C’est en peignant que naît, de ce qui a été ainsi trouvé, souvent du supposé banal, un nouveau contenu. »
Thomas LOHMANN, Hänsel und Gretel, 2005.
Huile sur cire sur toile maroufée sur bois. 81 x 45 cm
© Thomas Lhomann. Courtesy of the artist
Eric MONBEL (Lille)
Eric MOMBEL, Sans titre, 2009. 32 x 32 cm
Série de 3 monotypes, encre et crayon sur papier
© Eric Mombel. Courtesy de l'artiste
Le duo d’artistes lillois PHILEMON & Arnaud VERLEY expliquent ainsi la signification de l’installation qu’ils exposent à Amnésia : “L’installation met en scène des appelants manufacturés - ou appeaux - destinés à la chasse à la palombe. Oiseaux factices, perchés, soclés et animés mécaniquement, ils dépassent la figure animale comme pour déployer un imaginaire en prise avec l’actualité. L’anthropomorphisme pointe quand ce groupe de volatiles bat des ailes, animé serait-il, par un désir migratoire. En Inde, le terme Hindi Kabotar Bazi désigne à la fois les jeux de pigeons voyageurs et les tentatives avortées des migrants refoulés aux pays. Mais l’installation se dérobe, trompe son monde, et de plus belle, expose ses leurres. Faut-il y voir une illusion à la représentation et ses pouvoirs ? Pline l’ancien raconte l’anecdote selon laquelle le trompe l’oeil de Zeuxis, si réaliste, abusa les oiseaux, là où celui de Parrhasius, mimétique, confondit Zeuxis en personne... Nous aimons cette polysémie qui convoque le rêve, l’illusion, l’aliénation, qui ironiserait sur la velléité des vivants prompts à surpasser leur condition, à se croire doctes, immortels, ou à prétendre à quelques hauteurs céleste.”
PHILEMON & Arnaud VERLEY
Les Dupes, 2010. Installation, 2m x 4m X 5m
36 appelants mécanisés sur socle
© Philémon & Arnaud Verley - Courtesy des artistes
Dimitri VAZEMSKY, né à Lille en 1970, évoque le lien entre le thème de l’exposition, l’oeuvre qu’il y présente et son expérience personnelle d’enfant du Nord : « Amnésia. La mémoire absente d’une couleur. Versée. Liquide. La forme creuse des lettres, vidées de leur sens. Un bout de terre. De territoire. Pays d’enfance. Classé « Zone Rouge » par les historiens. Ce plat pays qui est le mien. Je le possède en moi car j’y ai grandi. Jouant dans les blockhaus, courant dans les champs labourés, trébuchant sur l’oblongue forme rouillée des bombes oubliées. Du sang versé sur cette terre, il ne reste que les coquelicots, à la fin du printemps, qui oscillent dans le vent, un souvenir encore présent, caché dans le pli des sillons et dont la musique hante la pointe des esprits lisant, entre les lignes, le paysage. Souvent, à l’automne, quand le vert cède la place aux terres siennes, les plis s’entrouvrent, laissant une béance, et les corps oubliés se mettent à chanter une mélopée que l’on peut aisément confondre avec le vent. »
Dimitri VAZEMSKY, ROUGE, 2006, Installation monumentale,
5 lettres rouges en tôle d’acier peinte. 1m78 x 76cm X 1m26.
Centenaire de la catastrophe de Courrières pour le
Centre Historique Minier de Lewarde
© Dimitri Vazemsky (co-production Centre Historique Minier de Lewarde)
Courtesy de l'artiste
La photographe Sabine WÜRICH, née en 1962, présente une analyse intéressante en considérant que : « Ma génération ne peut pas s’imaginer à quel point la guerre est horrible. Mais il y a des images dont la pénétration est inusable, aussi parce qu’on ne peut pas les regarder souvent. Les images de visages détruits appartiennent à cette catégorie. Pour moi, c’était un peu comme entrer sur un terrain inconnu dans le noir. Je me suis obligée à regarder correctement, à regarder longuement. Je me suis obligée à reconnaître la victime, à voir l’être humain, à ressentir de la compassion. Les lieux à côté des portraits, théâtres de grandes batailles de fin de guerre sur le territoire allemand, perdirent aussi leur apparence passée et prirent une autre signification. “Kriegslandschaften” (paysage de guerre) met les hommes et les champs de batailles au même niveau, visualise le rapport entre les causes et les résultats terribles. »
Sabine WÜRICH, Paysages de guerre, 2009.
18.50 x 28.19 cm - Tirage numérique
(c) Sabine Würich - Courtesy de l'artiste
Commissaires d’exposition : Ville de Cologne : Karola FINGS, Sous-Directrice du NS-Dokumentationszentrum (Centre de Documentation nazie de la Ville de Cologne) et Sabine WÜRICH, photographe. Ville de Lille : Direction des Arts Visuels et Expositions et Direction Générale de la Culture
Scénographie : Jean-Marie Dautel
Musée de l’Hospice Comtesse
32, rue de la Monnaie
59800 Lille