07/06/05

Mark Rothko : Travaux sur papier, 1930-1969 à la Galerie Beyeler, Bâle

Mark Rothko
Travaux sur papier, 1930-1969
Galerie Beyeler, Bâle
7 juin - 20 août 2005

Pour son exposition d’été, la Galerie Beyeler a réuni plus de 60 travaux sur papier de MARK ROTHKO. S’ouvrant sur les premières années de sa création, cette sélection part d’œuvres réalistes pour conduire, à travers le surréalisme, au langage pictural de la maturité. Le changement entre un contenu graphique explicite et une teneur picturale y apparaît avec une netteté particulière. En effet, même au temps des tableaux « classiques » postérieurs à 1950, Mark Rothko insiste toujours sur la présence d’un contenu, qu’il traduit de façon concise par l’expression de « human drama » ou d’« elemental truth ». Les travaux sur papier reproduisent ainsi l’évolution qui mène du dessin à de véritables peintures sur papier. En tant que support de l’art de Mark Rothko, le papier occupe dans son œuvre une place d’une intensité et d’une significations variables. On rencontre ainsi, ce qui n’a rien pour surprendre, des périodes où le dessin s’impose dans son œuvre précoce, pendant le surréalisme, vers la fin des années 1950 et après sa grave maladie, dans les dernières années de sa vie, entre 1968 et 1970.

Un groupe choisi d’études préparatoires que l’on peut dater de 1941 offrent un aperçu des thèmes de la mythologie classique prisés par l’artiste ; leur concision artistique leur confère une validité élémentaire. Les dessins consacrés aux souffrances de Dionysos éclairent d’un jour particulièrement instructif les futurs cycles picturaux des « Murals » revendiquant tout l’espace, comme ceux du Seagram Restaurant, de l’Université de Harvard ou de la Rothko Chapel. S’inspirant de la Naissance de la tragédie de Nietzsche et de ses considérations philosophiques, ces esquisses à la plume et à l’encre de Chine assimilent Dionysos, déchiqueté par les Titans, et le Christ crucifié. Ces thèmes réapparaissent, intériorisés, dans son œuvre ultérieure et se manifestent indirectement à travers la confrontation visuelle et l’intensification du rapport entre tableau et spectateur. 

Au cours de la période surréaliste, le contenu mythologie se dissout dans un langage formel biomorphique, tandis que des aspects de paysage, des empilements rudimentaires de plage, de mer, d’horizon et de ciel, déterminent de façon croissante l’organisation picturale des univers artistiques de Rothko. C’est à cette époque qu’il accède, dans ses travaux sur papier, à une maîtrise technique novatrice. Il explore alors les possibilités de la gouache et de l’aquarelle au profit d’une diversité chromatique qui repose sur des tonalités retenues de gris, de brun, d’ocre, de bleu et de blanc. Des superpositions en glacis et une intervention physique —frottements et griffures — apportent une contribution essentielle à la richesse picturale.

Avec l’œuvre classique, on assiste à un recul temporaire des travaux sur papier. L’année 1952/1953 voit cependant la naissance de quelques pièces isolées.  Mais il faudra attendre les vacances d’été de 1957, qu’il passe en compagnie de ses amis Milton Avery et Adolph Gottlieb, pour qu’il se tourne à nouveau vers la peinture sur papier. Sans doute est-ce le souvenir nostalgique des journées des années 1930 où les trois hommes travaillaient fréquemment ensemble qui se ranime ici et débouche, au cours des étés qui se succèdent jusqu’en 1961, à un recours tout à fait productif à cette technique. L’assombrissement de la palette chromatique de Rothko, typique de sa peinture, s’observe également sur ses papiers vers la fin des années 1950.

Les grandes commandes de « Murals » rendent au dessin sa fonction préparatoire. L’exposition présente deux groupes de ces travaux, une série de grands formats, qui tiennent du tableau, destinés aux Seagram Murals et des études des formes types pour le Holyoke Center de Harvard sur papier à dessin rouge bordeaux. La grave maladie dont Mark Rothko est atteint et qui exige son hospitalisation marque une césure en 1968. Pour ménager ses forces, et sur les conseils de ses médecins, Mark Rothko est contraint de réduire considérablement son activité pendant un certain temps. La peinture sur papier reprend alors une nouvelle dimension et ne tarde pas à faire exploser le cadre habituel, même sur le plan du format. Ces travaux sont marqués par une diversité étonnante et par un surprenant goût de l’innovation. Leur coloris sombre conduit à un ancrage dans la surface, il intensifie la présence picturale et souligne l’importance des proportions des différents plans colorés. Dans le cadre d’un inventaire, Mark Rothko parcourt rapidement toute son œuvre en 1968/1969. La richesse picturale des fonds de ses travaux surréalistes lui inspire manifestement de nouvelles séries de tableaux, parallèlement réalisés sur papier et sur toile, qui résument une fois encore les aspirations de Mark Rothko à travers une réduction radicale de moyens.

C’est en 1961 qu’Ernst Beyeler achète son premier Rothko, Untitled (Lavender and Mulberry) sur papier, pour la Galerie. Une initiative courageuse pour Bâle, car à l’époque, l’art américain d’après-guerre ne faisait pas encore partie des transactions quotidiennes de la Bäumleinstrasse. Cet achat allait rester isolé, et il faut attendre 1969 pour que la Galerie Beyeler se lance dans le commerce de Rothko en particulier et de l’art américain en général. Rapidement, des peintures superbes trouvent place dans les musées et les collections d’Europe. Et la Galerie ne cessera plus de proposer à ses clients des œuvres marquantes — plus de soixante-dix jusqu’à ce jour, environ pour moitié des toiles et pour l’autre des travaux sur papier. L’hiver 1990/1991 voit se réaliser le rêve d’une petite rétrospective. 
"Le fait que l’on puisse aujourd’hui, plus de quarante ans après ce premier achat, présenter une exposition exclusivement consacrée aux travaux sur papier est dû à un singulier coup de chance et à la générosité de Kate Rothko Prizel, de Christopher Rothko ainsi que de nombreux particuliers qui ont accepté de prêter des œuvres. Après l’inoubliable exposition Rothko de la Fondation Beyeler en 2001 [Mark Rothko "Union approfondie entre peinture et spectateur", 18 février au 29 avril 2001, puis prolongée jusqu'au 24 juin 2001] et la présence désormais durable et unique des Mark Rothko Rooms à Riehen, nous aspirions à pouvoir présenter au public tout l’éventail des réalisations de cet artiste sur ce support. Bien des pièces seront montrées ici pour la première fois. "
Kurt Blum s’est rendu en Amérique au printemps 1962 avec Arnold Rüdlinger et l’a accompagné dans ses légendaires visites d’ateliers et lors de ses rencontres avec d’éminents représentants des milieux artistiques new yorkais. Par leur caractère direct et spontané, les photographies restituent avec authenticité l’atmosphère fascinante de renouveau, et témoignent de bien des amitiés durables entre artistes. Mark Rothko accueillit ses visiteurs dans la demeure familiale, au 118 East 95th Street. Il s’agit du seul document photographique connu de l’atelier privé qu’il possédait au troisième étage de l’immeuble. Ce local n’était pas seulement destiné à entreposer les tableaux auxquels il attachait un grand prix. À cette époque précise, il y travaillait également, comme le révèle le matériel de peinture qui s’y trouve. 

En 1935, Herbert Matter part pour les États-Unis. Après avoir parcouru le pays, il s’installe en 1936 à New York où il exerce les métiers de photographe et de graveur. Ayant fait la connaissance d’artistes comme Alexander Calder, Jackson Pollock ou Franz Kline, il prend précocement leur œuvre pour sujet de travaux documentaires. Il travaille aussi bien pour la Pierre Matisse Gallery que pour le Museum of Modern Art, parallèlement à Vogue, Harper’s Bazaar ou Knoll International. En préalable à la grande rétrospective que le Museum of Modern Art consacre à Mark Rothko (janvier-mars 1961), il rend visite à l’artiste dans son atelier du 222 Bowery, à New York. Le MoMA lui passe commande de portraits destinés au catalogue et  il réalise également les seules photos connues à ce jour du lieu de naissance des Seagram Murals, les premiers grands panneaux muraux de Rothko. Les détails sont, en l’occurrence, particulièrement intéressants : les palans qui servaient à hisser les tableaux en l’air comme une frise murale entourant la pièce, l’échafaudage du peintre, les boîtes de Maxwell House Paint et bien d’autres choses encore.  

Oliver Wick a assuré au cours des dernières années le suivi de ce projet d’exposition, dont il exerce les fonctions de commissaire pour la Galerie Beyeler.

GALERIE BEYELER
Bäumleingasse 9, 4001 Bâle
www.beyeler.com

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