03/03/99

Dessins français XVIIe - XIXe siècles. Florilège de la collection du musée des Beaux-Arts de Quimper

Dessins français XVIIe - XIXe siècles
Florilège de la collection du musée des Beaux-Arts de Quimper
Musée des Beaux-Arts de Quimper
3 mars - 31 mai 1999

En exhumant de ses réserves 79 de ses plus beaux dessins de l’Ecole française exécutés entre 1630 et 1830, le musée des Beaux-Arts de Quimper a souhaité réparer une certaine forme d’injustice. En effet, la dernière exposition importante de son fonds graphique remonte à 1971. Jusqu’à cette date, ce fonds, riche d’environ 2000 feuilles provenant comme celui de peintures du legs de l’amateur quimpérois Jean-Marie de Silguy en 1864, était méconnu à la fois des spécialistes et du public, à l’exception du Paysage de Callot publié en 1958 par Daniel Ternois et présenté dès la fin des années cinquante dans de nombreuses expositions internationales consacrées au XVIIe siècle français. ou encore de la Feuille d’études d’un soldat chargeant son fusil de Watteau, publiée en 1957 par K.T. Parker et J. Mathey dans leur catalogue raisonné de l’oeuvre dessiné de l’artiste.

C’est à Roseline Bacou, alors conservateur au Cabinet des Dessins du musée du Louvre et commissaire de l’exposition, que revient le grand mérite d’avoir étudié pour la première fois et remis en valeur cet ensemble qu’elle considérait à bien juste titre comme l’un des plus remarquables ensembles de dessins conservés en France. Quatre-vingt cinq numéros des Ecoles française, italienne et flamande furent alors présentés, avec des attributions pour la plupart confirmées depuis, et firent l’objet de notices plus ou moins détaillées dans un catalogue qui constitue encore aujourd’hui un outil de référence pour l’étude de ce fonds . Il convient de rappeler ici que, contrairement aux peintures, les dessins légués par Jean-Marie de Silguy ne firent l’objet d’aucun inventaire. Les auteurs du premier catalogue du musée publié en 1873 justifièrent leur choix de se borner aux seuls tableaux du musée par le fait que la nomenclature et la description des nombreux dessins, gravures, plâtres et objets d’art qu’il contient, eussent dépassé les limites d’un simple livret en concluant cependant, d’une manière quelque peu prophétique, qu’ils espéraient que cette tâche serait entreprise un jour. 

L’étude approfondie d’un ensemble de dix dessins français significatifs du XVIe à la fin du XVIIIe siècle dans un article paru à l’issue de l’exposition de 1971 dans la Revue du Louvre de la même année contribua à diffuser encore plus largement la connaissance d’une partie de ce fonds quimpérois tant auprès des spécialistes que des amateurs.

On ne saurait oublier enfin que le musée des Beaux-Arts de Quimper a été l’un des tous premiers musées de province, avec ceux d’Orléans, Lille, Dijon, Rennes et Marseille, à participer à ce regain d’intérêt pour le dessin français au début des années soixante-dix, précédant en cela la série d’expositions consacrées aux dessins français des XVIIe et XVIIIe siècles inaugurée par le musée du Louvre à partir de 1984. C’est également de ces années quatre-vingt que datent ces expositions monographiques associant à la fois peintures et dessins, souvent puisés dans les collections provinciales alors mieux connues et appréciées à leur juste valeur. Le temps n’est pas encore si loin où le dessin, cette quintessence même de l’art, ce premier feu de l’imagination de l’artiste pour reprendre le mot célèbre de Dézallier d’Argenville, était le parent pauvre des musées et des expositions.

Il faut bien avouer que la fragilité des oeuvres graphiques et les strictes exigences de leur conservation les condamnent bien souvent à demeurer dans l’obscurité des réserves accessibles aux seuls chercheurs. La rénovation du musée des Beaux-Arts de Quimper en 1993 a permis d’aménager au sein du parcours des collections permanentes de peintures un espace d’exposition temporaire où le fonds de dessins anciens est présenté par roulement, suivant des thématiques parfois liées à l’actualité du musée. Signalons ainsi en 1996 la présentation d’une sélection de vingt-cinq dessins des Ecoles française et italienne, suivie deux ans plus tard par celle des plus belles feuilles de l’Ecole française du XVIIIe siècle à l’occasion de l’exposition Elie Fréron, polémiste et critique d’art.

Depuis 1971, ce fonds a par ailleurs fait l’objet de nombreuses expositions en France et à l’étranger qui ont contribué d’une part à le faire connaître auprès d’un plus large public, d’autre part à en enrichir l’étude, à travers des catalogues de grande érudition, soit en révisant ou en précisant certaines attributions parfois erronées, soit en mettant en relation certains dessins avec des peintures dans le cas d’études préparatoires. Trois ans seulement après l’exposition quimpéroise, quatre dessins de Fabre, Garnier et Moreau le Jeune -ce dernier acquis cette année-là- représentaient ainsi le musée quimpérois à l’exposition consacrée à Paris aux dessins néo-classiques des musées de province. Remercions ici pour leurs précieuses contributions au catalogue Arlette Sérullaz, Nathalie Volle et Jean Lacambre.
Deux expositions, quoique beaucoup plus modestes sur le plan scientifique, ont ensuite permis de faire circuler une partie du fonds dans notre région : cent dessins des Ecoles française et étrangère furent ainsi présentés en 1983 au musée de Pont-Aven alors nouvellement créé tandis que quatre ans plus tard, le musée des Jacobins de Morlaix choisissait d’exposer à son tour une sélection de cinquante dessins. En 1992, la fermeture pour travaux du musée fut l’occasion d’une importante campagne d’expositions de son fonds de peintures et de dessins à l’étranger. Trente-deux dessins des XVIIIe et XIXe siècles significatifs de l’évolution de l’art français de Boucher à Boudin furent ainsi présentés au Noordbrabants Museum d’Hertogenbosch en Hollande et firent l’objet de notices détaillées établies par Bernard Vermet à qui on doit d’intéressantes découvertes. Un an plus tard, l’exposition consacrée par le musée du Louvre aux Dessins français du XVIIe dans les collections publiques françaises devait permettre d’enrichir la connaissance de notre fonds de dessins du XVIIe siècle qui, quoique moins important quantitativement et moins homogène que celui du XVIIIe, n’en présente pas moins des oeuvres de grande qualité dûs à d’illustres maîtres tels que Le Brun et Callot ou à des artistes certes moins connus mais néanmoins rares comme le graveur Grégoire Huret auquel on attribua cette Flagellation du Christ, jusqu’alors anonyme. Remercions ici pour cette étonnante découverte, confirmée par Pierre Rosenberg, Jean-François Méjanès, conservateur en chef au Département des Arts graphiques du musée du Louvre, qui, depuis 1971, mène une étude attentive et approfondie de notre fonds.
Enfin, plus récemment encore, le musée de Picardie d’Amiens a présenté aux côtés de son fonds de dessins français des XVIIIe et XIXe siècles l’allégorie quimpéroise autour de la Paix d’Amiens par le peintre breton François Valentin.

A ces expositions spécialisées, il convient d’ajouter enfin les expositions de peintures monographiques ou thématiques dans lesquelles certains dessins de la collection quimpéroise furent présentés, comme la Continence de Scipion de Boucher qui figura à l’exposition bruxelloise de 1975 sur le XVIIIe siècle français, l’étude pour la figure d’Agamemnon de Carle Van Loo, prêtée pour la rétrospective française de 1977, celle pour la Vénus à sa toilette de Natoire exposée la même année dans le cadre de la rétrospective française et italienne, la Feuille d’études de Watteau, présente à la grande rétrospective de Paris, Berlin et Washington en 1984-85, ou encore le Vieillard regardant à la lunette  et la Femme assise  de Leprince, présents tous deux à la rétrospective de Metz en 1988.

L’exposition quimpéroise de 1971 aura été aussi le point de départ de la politique d’enrichissement du musée dans le domaine des arts graphiques. D’importants achats, le plus souvent destinés à compléter le fonds initial issu du legs de Silguy, ont été ainsi réalisés depuis cette date, comme celui de la  Scène d’initiation chez les Egyptiens de Moreau le Jeune en 1974 (venu s’ajouter à un paysage), suivi cinq ans plus tard par celui de deux dessins de Cassas représentant des vues de Lorient et d’Hennebont, complété en 1993 par celui d’une Vue de la promenade de Quimper Corentin, document précieux pour la connaissance de la capitale cornouaillaise au XVIIIe siècle ( ces dessins d’inspiration bretonne viennent ici s’ajouter aux deux vues de la campagne romaine, n° , anciennement dans la collection), ou encore comme celui de la Réunion au jardin du Luxembourg  de Boilly, acquis dans le commerce d’art parisien en 1986, soit près d’un siècle après l’entrée dans les collections initiales de l’esquisse à l’huile peinte par l’artiste sur le même thème.

Compte-tenu de la grande richesse et de l’extrême variété de ce fonds dominé à la fois en nombre et en qualité par l’Ecole française, nous avons pris le parti de n’exposer ici qu’une sélection de quelques quatre-vingt .numéros, faisant clairement apparaître la prééminence du XVIIIe siècle, reflet du goût personnel du donateur et de sa politique d’acquisitions dont il sera question dans le chapitre suivant.
Gageons en tous les cas que cette nouvelle exposition, malgré le caractère non exhaustif et toujours un peu arbitraire de telles sélections, permettra à nos visiteurs de mieux apprécier la qualité de cet ensemble qui sans toutefois rivaliser avec les remarquables ensembles de Besançon, Orléans, Lille ou Rennes mérite très largement la renommée de la collection quimpéroise, et que l’étude des oeuvres présentées ici et mises parfois en relation avec d’autres dessins et peintures continuera à susciter l’intérêt des chercheurs...

Jean-Marie de Silguy, dessinateur et collectionneur

Elève du peintre François Valentin au lycée de Quimper puis de Jean-François Mérimée à l’Ecole Polytechnique où il fut admis en 1804 au terme de brillantes études secondaires, Jean-Marie de Silguy (1785-1864) pratiqua très tôt l’art du dessin qui occupait alors une place prépondérante dans les enseignements scientifiques. Le musée conserve quatre de ses dessins - une académie, une scène de genre dans le goût de Greuze, une allégorie copiée d’après son maître Valentin et une étude d’arbres contresignée par Mérimée et sans doute exécutée pour le concours annuel de dessin de l’Ecole Polytechnique- qui témoignent d’un certain talent malgré une facture souvent conventionnelle.
Rappellons ici que la pratique du dessin amateur était une tradition familiale chez les Silguy et les Conen de Saint-Luc, branche maternelle du collectionneur. Cette éducation artistique acquise tant au contact de ses proches qu’à celui de ses professeurs confirma assez vite Jean-Marie de Silguy dans sa vocation de collectionneur. Sa formation d’ingénieur des Ponts-et Chaussées n’a sans doute pas été elle-même étrangère à sa prédilection pour les dessins et les esquisses qui occupent une place essentielle dans la collection du musée.

Toutefois peu sensible aux innovations artistiques de son temps, du romantisme au naturalisme, J.M. de Silguy avait une affection toute particulière pour les dessins anciens et une prédilection très marquée pour le siècle qui l’avait vu naître. Bien qu’exclusive, cette préférence donne à la collection quimpéroise un intérêt particulier et un caractère profondément didactique dans la mesure où elle permet de suivre l’évolution du dessin et, d’une manière plus générale, de l’art français, du rococo illustré ici par les feuilles des plus grands maîtres de ce courant (Watteau, Lemoyne, Natoire, C. Van Loo, Boucher, Fragonard...) au néo-classicisme dont témoignent les oeuvres de Fabre, Garnier, Vincent et Moreau le Jeune. C’est en cela que la collection Silguy peut être comparée à celle dont Xavier Atger fit don à la bibliothèque de la Faculté de Médecine de Montpellier entre 1813 et 1833.

L’étude attentive de cette collection laisse apparaître par ailleurs une prédilection très nette pour les académies et les paysages, deux genres auxquels sacrifia J.M. de Silguy au cours de sa formation à l’Ecole Polytechnique. Nombreuses sont aussi les études pour des peintures à sujets religieux, historique, mythologique ou allégorique, pour la plupart aujourd’hui perdues. La relation entre dessin et peinture est cependant parfois difficile à établir avec certitude en raison du plus grand nombre de dessins autonomes au XVIIIe siècle qui fut, comme le rappelait Marianne Roland-Michel en 1987, l’âge d’or du dessin français.
L’un des autres attraits majeurs de la collection Silguy réside dans la présence de pièces signées et parfois datées d’artistes dont l’oeuvre dessiné est aujourd’hui mal connu. C’est en particulier le cas de Taillasson et de Taraval dont la Sainte Famille est précisément datée de 1781.

C’est pendant son séjour parisien où il fut en poste de 1842 à 1852 que J.M. de Silguy constitua l’essentiel de sa collection de peintures et de dessins. Ceux-ci étaient acquis le plus souvent par lots, beaucoup plus rarement par feuilles isolées, et sans réel souci de provenance. Cette méthode d’acquisition où la fièvre «collectionnite» semble l’emporter sur la rigueur scientifique et l’érudition explique ainsi le grand nombre de copies ou d’oeuvres secondaires, comme cet ensemble de contre-épreuves à la sanguine d’après des paysages d’Hubert Robert, et la rareté des marques de collections antérieures apposées sur les dessins. J.M. de Silguy n’en apposa lui-même aucune.

Si le fonds de dessins offre ainsi de grandes similitudes avec celui de peintures, également caractérisé par des oeuvres de qualités diverses et inégales et par une abondance de copies, elle s’en éloigne cependant par certains choix. En effet, la passion du collectionneur quimpérois pour la peinture flamande et hollandaise pouvait laisser espérer la présence d’un fonds de dessins nordiques également intéressant. Or, la collection ne compte que trois feuilles de cette école.

Les artistes méridionaux semblent avoir retenu davantage l’attention de l’amateur, à l’exception des Espagnols absents du fonds graphique. Quoique moins important en nombre que l’ensemble français, l’ensemble italien rassemble quelques noms célèbres du XVIe au XVIIIe siècle tels que Cambiaso, Farinati, Tiepolo, Pannini et Piranèse.

Par ses choix éclairés, à défaut d’une solide érudition comme semble l’indiquer la rareté des livres d’art au sein de sa bibliothèque riche de plus 7000 volumes, J.M. de Silguy doit toutefois être rattaché à cette génération de collectionneurs, amateurs ou peintres, qui par leurs dons généreux ont fait et font encore la réputation des cabinets de dessins de nombreux musées de province. Citons ainsi entre autres X. Atger (1756-1833) et F.X. Fabre (1766-1837) à Montpellier, J.B. Wicar (1762-1834) à Lille, Turpin de Crissé (1781-1859) à Angers, His de la Salle (1795-1878) à Dijon, Alençon et Lyon, ou encore J.F. Gigoux (1806-1894) à Besançon, sans oublier leur illustre prédécesseur, le parlementaire rennais C.P. de Robien (1698-1756) qui rassembla au sein de son cabinet de curiosités près d’un millier de dessins, conservés aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Rennes.

Sophie Barthélémy
Conservateur au musée des Beaux-Arts de Quimper.

Musée des Beaux-Arts de Quimper
40, place Saint-Corentin, 29000 Quimper