Laetitia Benat - Pierre Bismuth
Cosmic Galerie, Paris
9 septembre - 11 octobre 2003
Surtout connue pour ses vidéos et ses photographies, LAETITIA BENAT livre dans ses oeuvres des fragments de mondes intérieurs, comme autant de fenêtres sur des paysages intimes. Ses séries de photographies sont comme les images d'un film placardées à l'entrée d'un cinéma : récits à peine amorcés, elles permettent à celui qui les regarde d'imaginer son propre film.
Pour sa première exposition personnelle en France et sa première apparition dans une galerie française, Laetitia Benat expose par ailleurs pour la première fois son oeuvre graphique, qu'elle transfère pour l'occasion aux murs. Souvent tirés de cahiers intimes, ses dessins sont l'endroit où l'artiste parle le plus : ils remplacent l'écriture, comme la vidéo et les photographies remplacent le regard. Les dessins muraux sont la transposition dans l'espace de ces cahiers, la déambulation du visiteur remplaçant la succession des pages. Réalisés à main levée d'un trait délicat, ils conservent l'esprit et la spontanéité du petit format. Des fleurs, des animaux, des corps de femmes esquissés se font écho ; les dessins sont purs, vidés, pour se focaliser sur un détail qui suffit à les rendre lisibles. Ces traces évanescentes d'images mentales sont comme une condensation de l'imaginaire de Laetitia Benat sur les murs. Ces pensées tirant parfois vers le fantastique, mêlées au sentiment de suspension du temps et de l'image, induisent dans cet univers en apparence fragile un calme menaçant.
Cette oscillation entre anxiété et sérénité est particulièrement frappante dans le travail vidéo de Laetitia Benat, dont cinq oeuvres, sélectionnées par bdv (Bureau des Vidéos - Stéphanie Moisdon-Trembley et Nicolas Trembley), sont projetées.
Nearby (2000, 20'9''), série d'allers-retours entre l'intérieur (une chambre aux murs blancs où des filles passent leur ennui) et l'extérieur (des paysages en apparence anodins), renverse le sentiment d'enfermement. En effet, ce sont les extérieurs, filmés en longs plans séquences 16 mm statiques, pesants, qui finissent par produire une sensation inconfortable d'enfermement. Dans ces paysages mentaux, l'attente apparaît comme une menace.
Black Sanna (2002, 6'43'') est un récit fantastique en noir et blanc mettant en scène et tournant en dérision ce qui semble être une mystérieuse réunion de sorcières.
Halvimar (2002, 22'70"), titré d'après le prénom inventé pour le personnage féminin, pourrait être la suite de Black Sannah, mais aussi son début. Un jeune homme et une jeune femme errent, désincarnés, dans un château. Ces corps devenus des ombres évoquent le souvenir indicible d'une histoire amoureuse tragiquement terminée.
Blood (2002, 2'40") et MC/CW (2000, 1'25'') sont des vidéos d'animation. Laetitia Benat utilise pour base un portrait féminin dessiné, qu'elle s'applique à animer en le maculant de motifs entre la salissure et le sang. Dans MC/WC, c'est le visage de la chanteuse Mariah Carey qui se couvre de sang comme le visage de l'héroïne Carrie White, interprétée par Sissy Spacek, du film Carrie (1976) de Brian de Palma.
LAETITIA BENAT est née à Vichy en 1971. Elle vit et travaille à Paris. Elle a exposé, entre autres, à la Villa Arson à Nice, au Centre Georges Pompidou à Paris, au Rectangle à Lyon, au Centre national de la photographie à Paris, au Centre régional d'art contemporain de Sète, à la Hayward Gallery à Londres et à la Fri Art Kunsthalle à Fribourg. Elle participe activement à la revue Purple, et collabore avec Claudia Cargnel depuis 1995.
PIERRE BISMUTH utilise la pratique artistique comme moyen d'examiner notre perception de la réalité, notamment dans notre relation aux productions culturelles. Son travail tente avec humour et un minimum de moyens de déstabiliser les codes de lecture afin de redonner au spectateur une position incrédule même à l'égard des éléments de notre culture les plus acquis. Sa démarche se développe autour de l'idée que c'est en manipulant simplement la définition communément donnée aux choses que l’on en change la perception.
Cosmic Galerie présente pour la première fois à Paris un ensemble d'oeuvres basées sur les idées de substitution et d'équivalence.
Ainsi, En prévention de mauvais fonctionnement technique (vidéo de Bruce Nauman débranchée) se résume en la présentation d'une vidéo de l'artiste américain, débranchée. Pierre Bismuth cherche par là à tirer profit et en quelque sorte rentabiliser ces périodes plus ou moins courtes où les oeuvres vidéo sont installées sans être nécessairement en état de marche, dans le cas de problèmes techniques ou tout simplement de clôture de l'exposition en fin de journée.
Des choses en moins des choses en plus consiste en une série de cloisons légères, trouées de cercles jusqu'à élimination du plus de matière possible ; les cercles ainsi retirés de la surface des murs s'accumulent au sol comme autant d'objets à devoir gérer. Comme le travail précédent qui exploite les périodes de non fonctionnement d'une vidéo, cette installation joue sur la gestion des résidus de fabrication.
La mise en espace est complétée par deux nouveaux états des séries De rouge à rien et De vert à quelque chose d'autre. Chaque nouvelle présentation de chacune des deux séries reproduit la couleur utilisée dans une exposition précédente avec une différence peu perceptible, par ajout régulier de blanc pour De rouge à rien et de couleur dans De vert à quelque chose d'autre. Ce n'est qu'après un certain nombre d'expositions que l'évolution devient sensible pour qui suit la série, vouée à se terminer par le blanc dans un cas et virtuellement sans fin dans l'autre.
Dans la même salle, la nouvelle série Remplacer par le même joue sur l'idée de la substitution d'une chose par son double sur chacune des photos produites par l'artiste et ne présentant entre elles aucune cohérence thématique sont collés à l'identique des éléments prélevés sur des duplicata.
Enfin, les Pliages, aussi présentés pour la première fois, sont des origamis réalisés sur des supports divers - magazines, journaux, posters, plans etc. L'origami une fois produit est présenté déplié, ne montrant plus que la trace de sa réalisation ; chaque pièce garde néanmoins le nom de la chose que l'origami correspondant est censé figurer. Cette salle inaugure également une nouvelle série de suites chromatiques De noir à rien.
Cinq oeuvres vidéo de Pierre Bismuth, également sélectionnées par bdv, sont présentées chaque jour en alternance.
Link (work in progress depuis 1999, 14' à ce jour) explore le rapport continuité / discontinuité. Pour point de départ et matériel de base, l'artiste se sert du film classique Sleuth (1972) (''détective'' en argot anglais) de Joseph L. Mankiewicz. Le ''remake'' est financé par morceaux, à raison de 170 secondes pour chaque nouveau financeur. Link est le filmage de la projection de Sleuth sur des téléviseurs dans des appartements privés , le cadrage large laisse apparaître le moniteur dans son environnement domestique. Si, à la base, Sleuth se caractérise par le fait qu'il n’a tourné que sur un seul plateau, chaque nouveau plan dans le film d'origine correspond à sa diffusion dans un nouveau cadre.
Back to the jungle (the Jungle Book project) (2002, 75') est une interprétation du Livre de la Jungle «J'ai toujours été fasciné par l'habitude qu'ont les enfants de regarder la même vidéo, écouter le même disque, encore et encore, plusieurs fois par jour, pendant des semaines ou des mois. En décembre 2001, cherchant un cadeau pour ma filleule, je me demandais si Le Livre de la Jungle pourrait la débarrasser de son addiction (qui durait depuis quelques mois) à Winny l'Ourson. L'idée cependant n'était pas d'acheter une seule version, mais trois ou quatre : hollandais, anglais, espagnol, italien… Je voulais voir comment une enfant de 18 mois réagirait en regardant le même film, mais en entendant quelque chose de différent. Avant même de lui envoyer les cassettes je fus moi-même fasciné en faisant l'expérience de toutes ces versions doublées. Je voulais donner un langage différent à tous ces personnages.» (Pierre Bismuth).
Respect the dead (2001-2002) est une série de films dont chacun s'arrête net dès que survient la première mort à l'écran - la plupart des films ainsi montés ne durent pas plus de quelques minutes. Etablissant de nouveaux critères de montage, l'artiste se refuse à prendre en compte la signification normale et la fonction de la mort au cinéma - mise en place du décor, développement de l'action etc ; il perturbe ainsi l'équilibre du film, donnant une identité et un rôle différent aux personnages et aux évènements.
La Partie (1997-2001, 95') est centrée sur un texte produit à partir de l'écoute de la bande-son du film éponyme de Blake Edwards (1968). «Sans avoir jamais vu le film, dans le temps d'une seule écoute et sans en interrompre le cours, une dactylo a eu pour tâche de décrire les ambiances et les actions qu'elles supposaient, de retranscrire tous les dialogues dans la mesure de ses possibilités. Confrontée à la fois à un problème d'écoute, d'interprétation, de mémoire et de vitesse d'exécution, elle a produit ainsi un nouveau scénario dans lequel objectivité et subjectivité se mélangent et donnent autant d’informations sur le déroulement du film que sur tout un processus de compréhension.
Le texte, ainsi ajouté à l’image du film, se substitue à un éventuel sous-tirage. Il intervient comme commentaire absurde et décalé sur l’image et devient ainsi l’action principale. » (Stéphanie Moidson-Trembley)
One Man Show (2002, 6’) a pour matériau le film de Buster Keaton The playhouse (1921), dont l’action est basée sur l’idée de symétrie et qui a été ici manipulé pour créer deux écrans : une image de la partie droite de l’écran et une image miroir de la partie gauche.
PIERRE BISMUTH est né à Paris en 1963. Il vit et travaille à Londres et Bruxelles. Son travail a été montré lors d’expositions personnelles notamment au Centre d’Art Contemporain de Brétigny, à la Kunsthalle de Bâle, au Witte de With Museum à Rotterdam, au Sprengel Museum à Hanovre et à la Kunsthalle de Wien, ainsi que lors d’expositions collectives au Stedelijk Museum à Amsterdam, au Casino Luxembourg, à la Manifesta 4 à Frankfurt, au Museum für Moderne Kunst à Frankfurt, au MAMCO à Genève, à la 49ème Biennale de Venise, au Musée d’art moderne de la ville de Paris et à la Fondation Cartier à Paris.
Un document filmé sur Laetitia Benat et Pierre Bismuth, réalisé par Sabine Bouckaert pendant le montage de l’exposition, est présenté dans la première salle.
COSMIC GALERIE
76, rue de Turenne, 75003 Paris