16/05/04

Exposition Joan Miró & Alexander Calder, Fondation Beyeler, Riehen / Bâle

Calder – Miró
Fondation Beyeler, Riehen / Bâle
2 mai – 5 septembre 2004 

Joan Miró et Alexander Calder font connaissance à la fin du mois de décembre 1928, dans les milieux de l'avant-garde parisienne. L'amitié durable qui se noue alors entre ces deux artistes ne prendra fin qu'en 1976, à la mort de Calder. Les groupes d'ouvres datant de 1920 à 1949 que nous avons choisi pour cette exposition présenteront plusieurs thématiques communes et révéleront la similitude des stratégies artistiques. Soixante peintures de Miró feront face à près de soixante-dix mobiles et stabiles d'Alexander Calder, illustrant divers aspects de leur création et permettant de percevoir un certain nombre de correspondances formelles. La multiplicité des points de vue sera organisée en dix cycles thématiques assez ouverts, qui articuleront notre présentation dans l'espace. La fluidité des transitions préservera cependant l'impression d'ensemble. On remarquera tout particulièrement un autre point commun aux deux artistes : l'appréhension de l'art comme espace total, qui leur permet de dépasser les limites traditionnelles des genres. Le Pavillon espagnol de l'Exposition universelle de Paris de 1937 fait figure de préalable à une nouvelle collaboration de grande ampleur, l'aménagement du Terrace Plaza Hotel de Cincinnati en 1947, réalisé à l'occasion du premier voyage de Miró en Amérique. Le monumental Cincinnati Mural Painting de ce dernier et le mobile de Calder Twenty Leaves and an Apple , prêtés ici pour la première fois, constituent le point culminant et la conclusion chronologique de cette exposition. La conception absolument novatrice de Calder, qui considérait ses sculptures dans leur contexte architectural, et les premiers exemples de peinture murale de Miró ont également servi de leitmotive à l'ensemble de ce projet.

Le chapitre Jouets et Cirque (Toys and Circus) ouvre la ronde, présentant des ouvres antérieures à leur amitié proprement dite, née au cours des années vingt. Revendiquant ainsi une totale autonomie, elles sont en mesure de révéler de manière impressionnante les éléments fondamentaux qui sont à l'origine de l'attirance entre ces deux artistes. La passion pour le cirque et le jeu, formes d'expression poétique pure, a inspiré de manière différente mais connexe les peintures oniriques de Miró et les sculptures en fil de fer de Calder qui ont vu le jour durant ces années. Le célèbre « Cirque de Calder » sera présenté dans l'exposition grâce au court-métrage du même nom de Carlos Vilardebó (1961 / 18 min.).

La section suivante, Sensation of the Universe - titre emprunté à Calder -, illustre les aspects formels de l'espace, de la ligne et de l'équilibre. Les objets-sculptures de Calder inspirés de la mécanique céleste, avec leurs sphères et leurs constellations en équilibre, sont placés en regard avec les fonds picturaux entièrement vidés de Miró. Ceux-ci peuvent donner lieu à une interprétation spatiale, ou passer pour une équivalence entre surface picturale et mur. Peinture (La Naissance du monde ), un tableau exemplaire, qui constitue sans doute l'ouvre majeure de cette exposition, peut faire figure d'anticipation de l'ensemble de la peinture murale de Miró.

Le titre de Performed Portraits désigne les portraits réalisés par Calder à l'aide de fil de fer, qu'il fabriquait dans les cafés avec une rapidité époustouflante sous les yeux fascinés du Tout-Paris. C'est ainsi que naquirent Kiki de Montparnasse et Miró . Le peintre espagnol donne l'impression de répondre à ces sculptures linéaires par des tableaux appliquant le même principe de la ligne sans fin. On en trouve d'excellents exemples dans Peinture de 1930 ou dans la série de Têtes de 1931.

Sous le titre général de Found Forms , des configurations biomorphiques, le jeu avec le hasard et le principe de libre association emprunté aux surréalistes constituent des aspects marquants de la juxtaposition entre les Peintures d'après collages de 1933 de Miró et les sculptures de Calder qui renoncent de plus en plus à la géométrie rigide, comme Tightrope ou Cône d'ébène . Nous exposerons quatre des plus beaux exemples de ces Peintures (une série de 18 toiles), qui communiquent fort bien l'effet spatial grandiose de ces ouvres. En ce sens, celles-ci anticipent directement la frise murale en trois parties, Murale I-III , que Miró a réalisée en 1933 pour la chambre d'enfants de son galeriste parisien, Pierre Loeb.

Il s'agit du premier cycle de peintures murales de l'ensemble de l'ouvre de Miró. Enfin localisé au terme de quarante années, il sera présenté ici au public pour la toute première fois. Par son titre Dans l'esprit des Jeux d'enfants , la section suivante de l'exposition rappelle l'esprit libre et ludique de Jeux d'enfants , un spectacle de ballet réalisé par Miró pour les Ballets russes de Monte-Carlo . Elle renvoie également aux premiers stabiles de grande envergure de Calder, Big Bird ou Devil Fish , dans lesquels le langage formel géométrique abstrait se fond de plus en plus avec des éléments proches de la nature.

Ayant quitté Paris en 1933, Calder achète une vieille ferme à Roxbury, aux États-Unis. Le vaste terrain dont il dispose explique les possibilités et l'échelle nouvelles de ses sculptures. Calder ne reverra Miró qu'en 1937 dans le cadre de l'Exposition Universelle de Paris. Ces retrouvailles se concrétisent par une collaboration inattendue destinée au Pavillon espagnol de la République antifranquiste, où l'on peut voir, aux côtés de Guernica , la peinture légendaire de Picasso, la géniale Fontaine de mercure de Calder et Le Paysan catalan en révolte une peinture murale bouleversante de Miró, aujourd'hui disparue. Une autre peinture murale destinée à la chambre d'enfants du marchand new yorkais de Miró, Pierre Matisse, et le premier stabile proprement monumental de Calder Black Beast , permettent de percevoir, dans le chapitre Bestiaire et Chambre d'enfants, la trace que la menace durable et l'effroi provoqués par la situation internationale ont laissée dans l'ouvre des deux artistes.

Avec des tableaux de petites dimensions réalisés sur une grossière toile de sac, l'ouvre de Miró esquisse, à la fin des années trente, une tendance croissante à la miniaturisation. Celle-ci conduira l'artiste, qui fuit la guerre et la dévastation, aux cosmogonies intériorisées des Constellations de 1940-1941, révélant une structuration en all-over de son expression poétique. Nous avons pu réunir à Bâle - un événement exceptionnel - dix de ces précieuses Constellations . La section intitulée Les Années de guerre : solitude et constellations éclaire cette phase de repli obligé et d'intériorisation artistique. La pénurie de matières premières, de métal et d'aluminium, ainsi que l'isolement des années de guerre incitent Calder à renouer avec un langage formel biomorphique. Des éléments taillés d'un geste fluide dans le bois, peints pour certains de couleurs vives et assemblés à l'aide de fil de fer en éléments spatiaux évoquant la scène d'un théâtre, caractérisent la nouvelle forme d'expression des Constellations de l'Américain.

Dans la section Cadres et fantasmagorie , Calder met en scène des situations à l'aide de panneaux de fond ou de cadres qui viennent s'interposer au premier plan, transformant ses éléments formels et ses mobiles en véritables acteurs. En parallèle, les toiles de Miró, aux coloris clairement articulés, semblent répondre à ce monde formel épuré de son ami Calder, dans lequel les silhouettes occupent une place majeure.

L'immédiat après-guerre voit la naissance de certains des mobiles les plus compacts de Calder. Entièrement noirs, ils font, dans leur fonctionnement, la part belle aux jeux d'ombre et de lumière ainsi qu'au mouvement. La multiplicité parfaitement pondérée des parties et leur vibration qui se communique à l'espace environnant, constituent sans doute, au-delà de toute spéculation sur une influence réciproque, la meilleure preuve de la profonde affinité artistique entre Calder et Miró. Espace et poésie associe des ouvres dans lesquelles les deux artistes exploitent pleinement ces nouvelles possibilités ainsi que l'harmonie spatiale dans son ensemble. De remarquables exemples des séries de grands formats de Miró datant de 1945 sur fond blanc, noir ou gris (complète pour cette dernière) trouvent un étonnant écho dans les compositions spatiales équilibrées de Calder. Le premier mobile destiné à un édifice public, qui anticipe les nombreuses commandes et les projets d'art architectural des années cinquante et soixante, sera présent dans cette exposition au même titre que le premier « Performing Mobile » conservé, Ogunquit ( Orange Fish ), créé en 1946 pour un projet théâtral de Padraic Colum. Nous avons le plaisir de le présenter à Bâle grâce à un prêt exceptionnel du musée d'art contemporain de Téhéran. Toutes ces ouvres conduisent au point culminant de l'exposition et au dernier projet commun d'Alexander Calder et de Joan Miró : le mobile et la peinture murale destinés au Terrace Plaza Hotel de Cincinnati. Ces deux ouvres illustrent remarquablement, dans le dernier cycle thématique intitulé Comme des Grandes Fresques : une nouvelle monumentalité, les aspirations de Miró à un art « public », qui l'entraînent progressivement vers le tableau mural, ainsi que la prise de conscience précoce de Calder qui savait avoir besoin du contexte architectural pour façonner l'espace environnant à l'aide de ses mobiles ou de ses stabiles.

Cette exposition a vu le jour à l'initiative de Eliabeth Hutton Turner, conservateur en chef de la Phillips Collection de Washington et a été réalisée en collaboration avec Oliver Wick, commissaire invité de la Fondation Beyeler. Les familles des artistes, dont l'amitié se prolonge à deux générations d'intervalle, ont soutenu ce projet avec enthousiasme. Alexander S. C. Rower, représentant de la famille et directeur de la Calder Foundation, n'a pas seulement soutenu les recherches nécessaires, mais nous a, avec une grande générosité, prêté des ouvres du fonds familial. De même, pour la Successió Miró, Joan Punyet Miró et Emilio Fernández Miró se sont engagés activement en faveur de notre projet.

Le catalogue de l'exposition est publié en allemand et en anglais chez Philip Wilson Publishers, à Londres. Il contient des contributions d’Elisabeth Hutton Turner et d’Oliver Wick, une chronologie établie par Susan Behrends Frank du point de vue de l’amitié entre les deux artistes, ainsi que la correspondance inédite à ce jour et illustrée des deux artistes. 312 pages avec 135 planches en couleurs et plus de 150 illustrations en noir et blanc et en couleur dans le texte.

FONDATION BEYELER
Baselstrasse 101, 4125 Riehen/Basel
www.beyeler.com