des illusions
Bénédicte Hébert, Annelies Strba, Hiroshi Sugimoto
Collection Frac Basse-Normandie
IUFM de Saint-Lô
1 - 25 octobre 2007
Les oeuvres réunies dans des illusions sont telle une fabrique d’images qui cherche à représenter le passage du temps, le rendre incertain ou irréel. Les oeuvres jouent sur l’illusion, l’instabilité visuelle et narrative. Elles traduisent, pour chacune, des passages et des temporalités différentes : passage de la peinture à la photographie puis à la vidéo en référence au cinéma ; photographie empreinte de peinture et de narration cinématographique, enfin le temps du cinéma pris dans celui de la photographie. Les champs s’entrecroisent, les artistes explorent ce que Raymond Bellour nomme « L’entre-images » (Raymond Bellour, L’entre-images, photo-cinéma-vidéo, Paris, Éditions de la Différence, 2002).
Dans la vidéo Le Louvre en 1 mn 26 secondes (2000), Bénédicte Hébert (1967) convie le spectateur à une visite éclair des collections du Louvre. Emportées et montées en boucle dans le flux mouvant de la vidéo, les oeuvres photographiées défilent à une vitesse qui perturbe le regard et le temps nécessaire à leur contemplation. La rapidité à laquelle se succèdent les images instaure une temporalité autre que celle propre à une histoire de la peinture construite dans le temps, et ici ramenée au devenir image de l’oeuvre et de sa diffusion. Bénédicte Hébert ouvre les portes d’un musée où il n’existerait ni cloisonnement entre les différentes périodes artistiques ni hiérarchie entre les oeuvres, chacune se voyant attribuer le même temps d’exposition et plaçant le spectateur dans l’incapacité de les discerner. Enfin cette course virtuelle dans ce prestigieux musée rend hommage au film Bande à part de Jean-Luc Godard (1964) dans lequel les protagonistes se livrent à une visite du Louvre en 9 mn et 43 secondes chrono. Référence inévitable à un metteur en scène qui questionne la représentation de la peinture dans le cinéma.
Annelies Strba (1947) photographie sa famille, son décor quotidien, ses voyages, images qu’elle réunie sous le titre générique Shades of Times (1974-1997). Empreintes d’une histoire de la représentation dans l’art et se réclamant de la peinture de Balthus, ses photographies semblent atemporelles ou d’un temps indéterminé. Usant de la surexposition, du flou, elles traduisent le temps qui s’écoule et l’expression d’une volonté de sublimer le quotidien en exaltant son humilité : la beauté du presque rien, des petites choses, des instants fugaces. Sortant de l’intime, elle voyage et photographie des paysages, architectures extérieures voulant inscrire sa propre histoire dans celles des autres. Hiroshima mon amour (1994) est une photographie prise au cours d’un de ses voyages au Japon. Dans cette ville, épicentre de la bombe atomique, elle photographie un couple d’amoureux sur un banc à côté d’une moto rutilante. L’aspect clair, surexposé de la photographie comme voilée, installe le doute quant à sa contemporanéité et fait remonter le désastre vécu dans cette ville. S’installe également, comme dans l’ensemble des photographies de l’artiste, un va-et-vient entre douceur et aigreur, chaud et froid. Une contradiction de sentiments qui n’est pas sans faire écho au film d’Alain Resnais Hiroshima mon amour (1959) construit sur une juxtaposition d’histoires présentes et passées ainsi qu’une histoire d’amour vouée à l’échec dans le contexte de cette ville sacrifiée.
Depuis la fin des années soixante dix, Hiroshi Sugimoto (1948) déploie dans des séries photographiques une réflexion centrée sur des sujets susceptibles d’expérimenter la photographie dans sa capacité à traduire le passage du temps. En 1978, une première série Theater offre une typologie de l’architecture théâtrale et baroque des salles de cinéma des années vingt et trente dans le middle-west américain qu’il poursuit en 1993 avec une série consacrée aux Drive-in, véritables archétypes du cinéma et mode de vie américain. Hiroshi Sugimoto fixe l’appareil photographique face à l’écran, le temps d’exposition étant égal au temps de projection du film. La pellicule n’enregistre du mouvement des images que l’accumulation du flux de lumière. La photographie révèle un écran blanc dont la source lumineuse met en exergue l’environnement extérieur à l’écran. Il s’agit pour Hiroshi Sugimoto d’exposer le temps, son immatérialité dans le passage des images. Il recourt à une technique qui traverse l’histoire de la photographie, celle du temps de pose qui, à l’origine, permettait dans sa longueur d’impressionner une image sur la plaque photographique et aujourd’hui à contrario de réduire à une image vide une multitude d’images qui construisent une histoire. À l’instar du Louvre en 1mn 26 de Bénédicte Hébert, l’information est là, mais le spectateur ne peut la déchiffrer.
FRAC BASSE-NORMANDIE
9 rue Vaubenard, 14000 Caen