05/02/18

Raoul Hausmann @ Jeu de Paume, Paris - Un regard en mouvement

Raoul Hausmann : Un regard en mouvement
Jeu de Paume, Paris
6 février - 20 mai 2018

Raoul Hausmann
Regard dans le miroir, 1930
© Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart

L’oeuvre photographique de Raoul Hausmann est restée longtemps méconnue et sous-estimée. De cet artiste-clé du XXe siècle, la postérité a d’abord retenu le rôle majeur au sein de Dada Berlin, les assemblages, les collages, les photomontages, les poèmes optophonétiques, quand les vicissitudes de l’Histoire ont effacé cette autre facette, à tous égards prééminente, de son rayonnement.

A partir de 1927, Raoul Hausmann devient pourtant un photographe prolixe. Cette pratique nouvelle pour lui, immédiatement absorbante, devient la clé de voûte d’une pensée globale foisonnante qui culmine jusqu’à son départ forcé d’Ibiza en 1936. Au cours de cette intense décennie, il aura beaucoup réfléchi à la photographie et développé une pratique profondément singulière du médium, à la fois documentaire et lyrique, indissociable d’une manière de vivre et de penser. Ses amis avaient pour nom August Sander, Raoul Ubac, Elfriede Stegemeyer, et László Moholy-Nagy, lequel ne craignait pas de déclarer à Vera Broïdo, l’une des compagnes de Raoul Hausmann : « Tout ce que je sais, je l’ai appris de Raoul. »

Raoul Hausmann
Sans titre, 1931
© Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart

Raoul Hausmann
Sans titre, 1931
© Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart

L’oubli qui a nimbé l’oeuvre de Raoul Hausmann redouble sa traversée du siècle clandestine. Lui qui fut taxé d’artiste « dégénéré » par les nazis et quitta précipitamment l’Allemagne en 1933 dut abandonner bien des clichés sur la route de ses exils pressés. Son travail photographique est, dès lors, demeuré secret, largement invisible, présumé perdu, avant que ne soit presque miraculeusement découvert, entre la fin des années 1970 et le milieu des années 1980, un fonds jusque-là inconnu dans l’appartement de sa fille à Berlin (aujourd’hui à la Berlinische Galerie). Les fonds français, principalement conservés au Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart et au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne, ainsi qu’au Musée national d’art moderne, se sont constitués dans le même temps, et enrichis jusqu’aux années 2010. Depuis lors, son aura de photographe n’a cessé de croître.

Raoul Hausmann photographe étonne. Lui dont on connaît la veine acerbe et mordante de l’époque dada vise ici la pacification, la réconciliation, une forme de résistance au temps par la sérénité. A partir du milieu des années 1920, l’atmosphère de Berlin lui semblant de plus en plus oppressante, il prolonge sans cesse ses séjours dans de petits villages sur les bords de la mer du Nord et de la Baltique, qui font à la fois office de « refuges » et de « cachettes pour artistes ». Là, il photographie le sable, l’écume, les tourbières, des corps nus, les courbes des dunes, le blé, les brins d’herbe, l’anodin qui s’impose dans un éblouissement. Son attention se porte aussi sur de modestes artefacts solitaires, chaises cannées, corbeilles en osier, tous objets troués qu’il transforme en flux, voire en tourbillon de lumière. Hausmann nomme ces expérimentations « mélanographie ». Elles rendent le saisissement né de l’apparition de l’image comprise, écrit-il, comme « la dynamique d’un processus vivant ».

Marthe Prévôt
Raoul Hausmann tenant sa sculpture-assemblage L’Esprit de notre temps, 1967
© Documentation du Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart

Raoul Hausmann
Material der Malerei, 1918
© Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart

Après l’incendie du Reichstag, il arrive à Ibiza en 1933. Sa pratique évolue alors. Fasciné par la pureté des maisons paysannes en forme de cubes blancs, il réalise l’inventaire photographique de ces « architectures sans architecte », populaires, à la fois anciennes et modernes, qui évoquent le « style international ». La photographie vient alors soutenir une étude anthropologique de l’habitat vernaculaire, engagée contre les racismes des années 1930. Lui-même intégré à la communauté insulaire, évoluant presque hors du temps, comme dans un « état de rêve », Raoul Hausmann réalise encore des portraits saisissants des habitants, qui sont une autre forme de son engagement. L’éclatement de la guerre d’Espagne, et l’abandon presqu’immédiat du petit territoire d’Ibiza aux franquistes, marquent le début d’un exil pénible qui ne lui permettra plus de se consacrer de façon aussi assidue à la photographie. Raoul Hausmann trouvera finalement refuge en France, dans le Limousin où il meurt en 1971, cinq ans après sa première rétrospective au Moderna Museet de Stockholm.

Commissaire : Cécile Bargues
Commissaire associé : David Barriet

Catalogue Raoul Hausmann.
Photographies 1927-1937

Textes de Cécile Bargues avec un extrait d’un entretien de Vera Broïdo et un inédit de Nik Cohn Coédition Jeu de Paume / Le Point du Jour / Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart. Version anglaise éditée par Koenig. 264 pages, 39 €

JEU DE PAUME
1 place de la Concorde, Paris
www.jeudepaume.org