31/05/20

Jacob Kassay @ Galerie Art : Concept, Paris - F'O'O'T'A'G'E'

Jacob Kassay: F’O’O’T’A’G’E’
Galerie Art : Concept, Paris
23 mai - 25 juillet 2020 

C’est un chaton siamois dont les yeux bleus convergent l’un vers l’autre qui vous invite à l’exposition de Jacob Kassay. La malformation génétique logée dans cette image attendrissante présage du dédoublement à l’oeuvre dans F’O’O’T’A’G’E’. Il est en effet impossible de faire le point sur les onze panneaux d’OSB (1) de formats différents qui ont été accrochés au mur tant leur surface vibre, comme pixélisée. Si ce ne sont nos yeux qui louchent, alors l’image elle-même doit être atteinte d’une déformation. La photographie des panneaux imprimée à même son sujet, le bois, fait tressaillir l’objet. L’image ne se superpose pas correctement à sa source, le croisement des deux produisant une malformation qui rend tangible leur relation. Cette présence fantomatique, créée par le dédoublement et donc la disparition de l’intégrité de la surface capturée, Jacob Kassay – ancien étudiant en photographie à l’université de Buffalo – l’explorait d’ores et déjà au sein de You, sa précédente exposition à la galerie Art: Concept. Ici, la réitération siamoise de l’objet dans ses propres contours, et la redondance des panneaux dans l’espace produit un effet de « jamais vu », ce phénomène d’épuisement qui nous empêche de reconnaître des formes ou des mots pourtant rabâchés. Dans le règne de la compression de l’image, le choix de ce bois « aggloméré » prend tout son sens. An aggloméré is an aggloméré is an aggloméré. La matière s’en trouve déréalisée.

L’aggloméré borde nos habitations et gît sur les chantiers, futur toit ou plancher. Il est ainsi troublant d’expérimenter, face à la solidité des panneaux, un désagrègement visuel propre au digital. On pense alors aux modélisations d’espace, aux décors de jeux vidéos, comme ceux, domestiques, des SIMS. Ces murs ou ces meubles qu’il arrive – dans un bug accidentel ou provoqué – aux personnages de traverser. Leurs corps fusionnés dans les parois hachent les textures qui peinent toujours à se recomposer en trois dimensions. Mettre le pied dans le décor, c’est ce qu’invitent à faire les deux sculptures métalliques incrustées dans les murs et intitulées Footrest. Généralement le repose-pied, incliné et placé sous le bureau, permet d’améliorer la posture face à l’écran, comme si par extension il soulageait d’une fatigue engendrée par les images digitales. Par le pied, ces sculptures en creux réintroduisent l’échelle humaine et l’ancrage physique au milieu de ce paysage pixélisé créé par l’oeil anonyme et défectueux d’une lentille d’appareil photo.

Et c’est d’ailleurs à un fameux corps en mouvement, le Nu descendant l’escalier (1912) de Marcel Duchamp, qu’un des panneaux fait référence par l’adoption d’un format quasi similaire. La référence signale qu’au-delà du régime digital auquel on imputerait la déformation de ces images accrochées au mur, une vieille querelle entre la peinture et la photographie, à propos de la représentation du mouvement, continue de se jouer. Inspiré par le rendu d’un déplacement par la chronophotographie, Marcel Duchamp (2) avait peint dans ces « couleurs bois » un corps en copeaux différemment orientés pour suggérer la descente d’un modèle nu. Dans F’O’O’T’A’G’E’, le sujet continue de bouger, cette fois mis en mouvement par le rapprochement inexorable des deux pupilles d’un chat siamois.

Écrit par Elsa Vettier.

(1) Oriented strand board ou en français : panneau à grandes particules orientées.
(2) On pense également aux Rotoreliefs de 1935 – des disques en carton devant être placés sur des tourne-disques – qui traduisaient l’intérêt de Marcel Duchamp pour l’art optique et sa volonté d’introduire le mouvement dans la peinture ainsi que de la « capter » cinématographiquement.

ART : CONCEPT
4 Passage Sainte-Avoye, 75003 Paris (entrée 8 rue Rambuteau)
www.galerieartconcept.com

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