05/12/20

Jean-Luc Moulène @ Galerie Chantal Crousel, Paris - Implicites & Objets

Jean-Luc Moulène
Implicites & Objets
Galerie Chantal Crousel, Paris
Jusqu'au 19 décembre 2020

Pour sa sixième exposition à la Galerie Chantal Crousel, Jean-Luc Moulène propose un paysage sculptural où l’abstraction se présente comme une force de pensée, d’imagination, évoluant conjointement avec une figuration forte et fixe dans un espace ritualisé.

Au centre de la première salle, un objet abstrait, la Montagne pourpre (2019) est installée sur son socle. Conçue à partir de modélisation 3D et produite par machine-outils, cette imposante sculpture abstraite en mousse dure est une surface remplie. Elle est conçue par l’artiste comme un monochrome en trois dimensions. Cette abstraction colorée est placée sous le regard d’un ensemble de sculptures inédites en béton, produites manuellement, les Implicites (2020). Assemblés autour de la Montagne pourpre et adossés au mur, ils l’observent à distance mais par cette observation, les Implicites sont également amenés à regarder leur propre intériorité. En effet, suivant le même protocole de production déjà utilisé pour la série des Tronches (2014-2017)*, ce sont des figures retournées, inversées, intériorisées puis remplies de béton - des effigies aux corps et faciès distordus.

L’aspect du béton diffère d’une sculpture à l’autre tant par sa couleur (nuances de gris) que par son traitement de surface (cire, époxy). La forme des corps et leurs attributs surgissent de leur propre effacement par l’action de remplissage. On peut parler ici de mise en scène de leur existence sensible.

Au coeur de la seconde salle, nous trouvons une sculpture totémique en bronze sur socle haut, Pyramid’os (2020). Ici, les os longs des membres du corps humain forment les arrêtes d’une pyramide et en délimitent les surfaces ou plutôt l’absence de surface puisque son cœur reste vide ; les articulations, quant à elles, en deviennent les sommets.

La Pyramid’os partage son espace avec un portrait dessiné (Tronche, 2020) et plusieurs autres objets dont une figure Implicite de taille réduite (Redux Implicite, 2020) également adossée au mur et présentée en hauteur sur le même plan et face à la pyramide.

En résonnance avec les oeuvres dont nous avons précédemment parlées, la troisième et dernière salle, latérale à la première, présente trois sculptures dont deux grandes abstractions posées sur tables. Reprenant les questions formelles soulevées par la Montagne pourpre, la Montagne blanche (2020) a une forme abstraite quelconque**. C’est un grand monochrome blanc qui garde en surface les traces de la peinture à l’huile. Toutes ces traces renvoient directement aux gestes visibles de l’artiste peignant sa toile. Autre variation, Nature Morte (2020) est également une peinture en relief, un volume avec des éléments réalistes et non dissimulés cette fois-ci, tels que des os et des cailloux.
« L'abstraction […] n'est pas simplement un thème, une technique ou un style, mais un protocole évolutif qui permet à la pensée de voir l'image d'elle-même du point de vue d'une matière qui la traque implacablement. »***
Enfin, ces deux abstractions côtoient une dernière sculpture posée sur une poutre de bois, Yeux bleus (2020). En position d’observateur, cet objet est composé de deux pierres trouvées, collées entre elles par de la pâte époxy. Sur sa partie supérieure, se répandent des centaines de Nazar boncuk, petites amulettes traditionnelles turques en verre destinées à protéger contre le mauvais œil. Non sans rappeler l’abstraction quelconque présentée à la Biennale de Venise en 2019 (Pale blue Eyes, 2019), ces yeux, qui semblent se multiplier, regardent la scène et épient tant les sculptures que les visiteurs.

Comme le disait très justement Philippe Vasset, on aime « s’attarder dans les expositions de Jean-Luc Moulène : pleines d’énigmes et de détails suggestifs, ce sont de véritables machines à fiction. »****

Au cours de ces deux dernières décennies, les oeuvres de Jean-Luc Moulène ont été présentées dans les plus grandes institutions et lors des plus importants évènements internationaux, parmi lesquels : les expositions More or Less Bone au SculptureCenter, New York, Etats Unis (2019) ; The Secession Knot à Secession, Vienne, Autriche (2017) ; Jean-Luc Moulène au Centre Georges Pompidou, Paris, France (2016) ; Il était une fois à la Villa Médicis, Rome, Italie (2015) ; Documents and Opus (1985 - 2014) au Kunstverein de Hanovre, Allemagne (2015) ; Jean-Luc Moulène . works au Beirut Art Center, Liban (2013) ; Jean-Luc Moulène au Modern Art Oxford, Oxford, U.K. (2012) ; Opus + One, Dia: Beacon, Beacon, New York, Etats Unis (2012) ; Jean-Luc Moulène au Carré d’art – Musée d’art contemporain de Nîmes, France (2010) ; ou encore Le Monde – le Louvre au Musée du Louvre, Paris, France (2005) ; et sa participation à de nombreuses biennales : 58ème Biennale de Venise, Italie (2019) ; Biennale de Taipei, Taïwan (2016) ; Biennale Internationale Design, Saint-Etienne, France (2015) ; Biennale de Sharjah, Émirat Arabes Unis (2011) ou encore la Biennale de Sao Paulo, Brésil (2002).

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* Jean-Luc Moulène travaille sur la série des Tronches entre 2014 et 2017. Ce sont des masques d’Halloween en latex, d’abord retournées à l’envers par l’artiste puis dans lequel il verse du béton. Quand ce dernier est sec, le latex est retiré, le béton ciré, le masque posé sur une couverture et exposé ainsi. Le béton est alors gris ou coloré. Un ensemble de Tronches fut notamment présenté dans l’exposition personnelle de l’artiste à la Villa Médicis en 2015.
** Le terme « quelconque » est fréquemment utilisé dans le lexique de Jean-Luc Moulène. Il s’agit de formes, de choses, quelconques dont nous ne connaissons ni l’organisation, ni la composition ni la transformation.
*** Reza Negarestani dans “Torture Concrete: Jean-Luc Moulène and the Protocol of Abstraction”, Sequence press editions, New York City, Etats-Unis, 2014, p.5 - traduction de l’anglais.
**** Philippe Vasset dans « Un rituel sans liturgie », catalogue de l’exposition Jean-Luc Moulène, éditions Centre Georges Pompidou et Dilecta, Paris, 2016, p. 108.

GALERIE CHANTAL CROUSEL
10 rue Charlot, 75003 Paris

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