ALBERTO GIACOMETTI
Fondation Beyeler, Riehen / Basel, Suisse 31 mai – 11 octobre 2009
ALBERTO GIACOMETTI (1901-1966), sculpteur, peintre et dessinateur suisse de génie, s’est imposé à Paris comme un des plus influents protagonistes de l’art moderne. La grande exposition d’été qui lui est consacrée par la Fondation Beyeler est un des temps forts du calendrier culturel européen. Cette exposition présente 150 œuvres majeures représentatives de toutes les périodes de création de l’artiste, tout en intégrant des travaux d’autres membres de la famille Giacometti qui se sont adonnés à l’art. Elle comprend des sculptures, des peintres, des dessins et des objets design appartenant à la famille Giacometti, à des collections particulières et aux plus grands musées du monde.
Son architecture n’est pas la seule raison qui fait de la Fondation Beyeler un lieu prédestiné à accueillir une exposition Giacometti. Il s’y ajoute en effet que cet artiste est représenté dans la collection d’Ernst et Hildy Beyeler par des pièces exemplaires de son oeuvre tardive visionnaire. L’une des plus connues est certainement l’ensemble destiné à la Chase Manhattan Plaza (1960), dont la célèbre sculpture L’homme qui marche II (1960) est devenue emblématique de la Fondation Beyeler, sinon d’Ernst Beyeler lui-même. Ce dernier connaissait bien Alberto Giacometti et sa famille et il s’est beaucoup investi en faveur de son œuvre. C’est du reste à sa persévérance et à son talent de négociateur que l’on doit le maintien en Suisse de l’intégralité de l’importante collection Giacometti de l’industriel de Pittsburgh G. David Thompson au début des années 1960, une collection qui a constitué le fondement de la Giacometti Stiftung de Zurich. Au total, près de 300 oeuvres de Giacometti sont passées entre les mains d’Ernst Beyeler au cours de son activité de galeriste.
Cette exposition retrace le parcours d’Alberto Giacometti en faisant la part belle à ses relations avec les membres de sa famille, tout en cherchant à mettre en évidence sa conception de l’art. Elle invite à un voyage à travers l’univers artistique de Giacometti, dont l’entourage constituait autant d’astres fixes. Les échanges avec sa famille étaient en effet d’une importance existentielle pour Giacometti. Son système de référence accordait une place privilégiée à son père, le peintre Giovanni Giacometti (1868-1933), qui fut, avec ses amis Ferdinand Hodler, Giovanni Segantini et Cuno Amiet, l’un des représentants des débuts de l’art moderne suisse. Giovanni Giacometti encouragea le talent manifeste d’Alberto dès sa plus tendre enfance et dans son rôle de professeur, il influença l’œuvre de son fils au-delà de sa période de création juvénile. Un grand nombre des problèmes artistiques qui préoccupèrent le fils, par exemple les questions de la relation entre distance et dimensions, intéressaient déjà le père, avec, il est vrai, des résultats fort différents.
Le peintre Augusto Giacometti (1877-1947), cousin issu de germains de Giovanni, s’engagea dans une tout autre voie artistique. Sa création fait contrepoids à celle des artistes de la famille de Giovanni et on le connaît surtout aujourd’hui pour ses compositions chromatiques expérimentales, proto-abstraites.
Tous les membres de la famille servirent de modèles à Giovanni et à Alberto. Parallèlement à son père Giovanni, Alberto était particulièrement proche de son frère cadet, Diego (1902-1985). Celui-ci ne fut pas seulement son modèle préféré, mais aussi son principal collaborateur pendant de longues années. Après la mort d’Alberto, Diego s’est fait connaître par ses meubles de bronze et ses sculptures, qui trahissent une forte influence de son frère. Les modèles importants dans l’évolution artistique d’Alberto comprennent également sa mère Annetta, sa soeur Ottilia, le plus jeune de ses frères, Bruno (*1907), architecte de renom, son neveu Silvio ainsi qu’Annette, sa propre épouse. Dans cette exposition, nous les rencontrons d’abord dans les peintures de Giovanni, puis dans les toiles et les sculptures d’Alberto.
La possibilité de jouer à proximité immédiate de l’atelier de leur père fut une expérience décisive pour les enfants Giacometti. Cette situation singulière a déterminé l’œuvre d’Alberto Giacometti en même temps que ses rapports avec ses frères et sœur. L’aspect ludique de l’art, tel qu’il était vécu à Stampa et qui se manifeste de façon absolument fascinante dans les objets cinétiques de l’époque surréaliste de la fin des années 1920 et du début des années 1930, marque le point de départ d’une conception devenue essentielle pour l’art d’Alberto Giacometti : l’idée de l’unité du temps et de l’espace. Le mouvement représenté — et cela vaut aussi pour le mouvement du spectateur lui-même — est également lié à l’instant où il se produit, ainsi qu’à l’espace qu’il parcourt. Dans ses recherches sur le thème de l’espace et du temps, les membres de sa famille furent pour Alberto Giacometti des éléments de référence irremplaçables. Alberto Giacometti se considérait comme le centre d’un système d’êtres, d’objets, d’œuvres, de lieux, de souvenirs et d’événements à venir.
L’exposition explore cette interaction entre espace, temps et mouvement en mettant en valeur les oeuvres de Giacometti d’une façon inédite, dans les salles de Renzo Piano. En collaboration avec Hans-Jörg Ruch, architecte originaire de l’Engadine spécialiste de Giacometti, et l’éclairagiste Charles Keller, on a imaginé une présentation originale qui permet aux œuvres et plus particulièrement à la patine bien particulière des sculptures de bronze de déployer toute leur beauté.
L’exposition s’ouvre par une très rare présentation complète des neuf versions des Femmes de Venise, qu’Alberto Giacometti a réalisées pour la Biennale de Venise en 1956. L’exposition retrace le cycle de vie d’Alberto et couvre les principales phases de sa création. Elle commence par Giovanni Giacometti et présente ses œuvres majeures représentant des motifs de l’Engadine et de l’environnement familier où naquit Alberto. La toile de grand format Die Lampe (1912) illustre de façon particulièrement vivante l’esprit de famille des Giacometti. Dans la salle consacrée aux débuts d’Alberto, on peut mentionner tout spécialement son Autoportrait de 1921, qui trahit déjà l’opiniâtreté du jeune artiste.
Les oeuvres marquées par le jeu, l’espace et le sentiment, grâce auxquelles Alberto a fait fureur dans les années 1930 d’abord dans le cercle des surréalistes, sont notamment représentées dans cette exposition par la sculpture érotique Homme et la femme (1928/1929) ou par la célèbre Boule suspendue de 1930/1931 (version de 1965). La réalité des sentiments s’exprime de façon fascinante dans des œuvres comme La main prise (1932), qui ont fait sensation à l’époque. Les versions en bronze et en plâtre du Cube (1933/1934), qui représentait pour Alberto tout à la fois sa propre tête et son atelier, sont tout à fait spectaculaires. L’artiste a présenté la version en plâtre du Cube que l’on peut voir ici à la Schweizerische Landesausstellung de 1939.
Des créations design d’Alberto Giacometti, rarement montrées, pour l’essentiel des travaux de commande destinés à Jean-Michel Frank, architecte d’intérieur de la high society, sont présentées dans une autre salle, aux côtés des meubles et des sculptures d’animaux de son frère Diego. Mentionnons encore parmi les objets design hors du commun le gigantesque luminaire d’Alberto (1932-1934).
La salle contiguë ne contient qu’une sculpture, minuscule, Petit homme sur socle (1940/1941, bronze, 8,1 x 7 x 4,8 cm). Au cours de cette phase de sa création, Giacometti ressentait la nécessité de présenter la figure à la taille exacte déterminée par la distance entre l’objet et sa propre perception d’artiste. Ses figures deviennent ainsi très petites, mais engendrent un effet monumental. Cette installation rappelle un projet de Giacometti qui avait eu envie d’aménager une très vaste cour intérieure de la Schweizerische Landesaustellung avec une seule de ces sculptures minuscules. Nous pouvons ainsi reconstituer de façon tangible l’évolution artistique d’Alberto Giacometti à partir de la fin des années 1930.
Le dépassement de l’exiguïté des figures, qui conduit à son célèbre style tardif, apparaît avec une expressivité toute particulière dans une œuvre clé de cette période, la Femme au chariot montée sur roues (vers 1945) que l’on peut voir ici dans deux versions, l’une en plâtre, l’autre en bronze. En installant sa figure sur des roues, en la rendant donc mobile, il abroge la distance entre l’objet et lui, qu’il jugeait insurmontable. Désormais, les figures peuvent à nouveau s’agrandir, et le thème du mouvement dans l’espace prend une importance capitale, comme en témoignent de façon particulièrement impressionnante les sculptures de bronze, et notamment le premier Homme qui marche (1947) ainsi que L’homme qui chavire (1950). La même période de création préside à la naissance des célèbres sculptures consacrées à des parties isolées du corps, Le nez (1947, version de 1949) et La main (1947), qui se rattache certainement à l’expérience de la guerre de Giacometti. La sculpture animalière Le chien (1951) était, dans l’esprit de l’artiste, un autoportrait existentiel.
La grande salle vouée à l’œuvre tardive de Giacometti s’ouvre sur le célèbre Chariot (1950), qui domine ici la présentation. Dans les portraits et les représentations de nu d’Annette qui entourent la salle, on peut toucher du doigt la manière dont Giacometti a abordé la figure féminine, grâce à certaines œuvres exemplaires, comme Grand nu (1962). Le contraire du mouvement est l’immobilité, qui redonne naissance au mouvement : les figures de femmes debout de Giacometti, ses corps condensés en quelques signes existentiels, aux surfaces et aux contours rugueux qui rendent toute appréhension exacte difficile, soulignent que l’immobilité n’est qu’un moment fugace.
Ses célèbres compositions de places illustrent son idée de la définition de l’espace par des groupements de sculptures immobiles/mobiles : les petites figures de La place (1948) et le groupe de sculptures Groupe de trois hommes (1943-1949) font face à l’ensemble plus grand que nature réalisé pour la Chase Manhattan Plaza (1960).
La dernière salle est consacrée aux remarquables bustes et portraits qu’Alberto a réalisés de son frère Diego. La salle est dominée par la grandiose « Grande tête de Diego » (1954), une sculpture qui, paradoxalement, se présente à la fois en deux et en trois dimensions, et dont la dynamique s’exprime pleinement quand on en fait le tour. L’exposition se conclut sur la toute dernière sculpture créée par Alberto Giacometti, Elie Lotar III (assis) de 1965, exposé à côté d’une peinture du jardin de Stampa (Le jardin à Stampa, 1954), regard nostalgique sur le paradis de l’enfance et en même temps coup d’oeil visionnaire vers l’éternité.
Commissaire de l’exposition : Ulf Küster
Cette exposition est réalisée en collaboration avec l’Alberto-Giacometti Stiftung de Zurich et avec la Fondation Alberto et Annette Giacometti de Paris. En plus des prêts généreux des fondations de Zurich et de Paris, cette exposition rassemble un grand nombre d’oeuvres prêtées par des musées européens et américains, dont la Fondation Marguerite et Aimé Maeght, Saint-Paul, le Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris, le Louisiana Museum of Modern Art, Humlebæk, la Staatsgalerie de Stuttgart, la Kunsthalle de Hambourg, la Tate, Londres, les Collections Thyssen-Bornemisza, Madrid, le Kunsthaus de Zürich, le Kunstmuseum de Bâle, l’Emanuel Hoffmann-Stiftung, le Depositum in der Öffentlichen Kunstsammlung, Bâle, le Bündner Kunstmuseum, Coire, ainsi que le Museum of Modern Art, New York und la National Gallery of Art, Washington. Une fois encore, nous avons pu obtenir de nombreuses collections particulières qu’elles nous prêtent leurs trésors. Nous tenons ici à mettre tout particulièrement en relief la Collection Eberhard W. Kornfeld de Berne.
Un catalogue est publié chez Hatje Cantz Verlag, Ostfildern à l’occasion de cette exposition. Ce catalogue constitue une contribution actuelle majeure à la recherche sur Giacometti. Avec une présentation de Felix Baumann et des textes d’Ulf Küster, Pierre-Emmanuel Martin-Vivier et Véronique Wiesinger, complétés par une chronologie de Michiko Kono. Ce volume compte 224 pages avec 160 illustrations en couleur.
Egalement à la Fondation Beyerler : Franz West, 7 mai - 6 septembre 2009