18/08/96

Luigi Ghirri / Aldo Rossi, Centre Canadien d’Architecture, Montréal - Des choses qui ne sont qu'elles-mêmes

Luigi Ghirri / Aldo Rossi : Des choses qui ne sont qu'elles-mêmes
Centre Canadien d’Architecture, Montréal
21 août - 24 novembre 1996
« Il existe à Ispahan une mosquée à l'intérieur de laquelle, lorsqu'on se place en un point précis, le moindre son, un simple mot aussi bien que le claquement des doigts, est répercuté sept fois par l'écho. L'architecture de Rossi me procure cette même impression d'émerveillement : en quelque point que ce soit, lorsqu'on se déplace dans l'espace ou sous l'effet de la lumière changeante, elle devient comme la propagation et la multiplication d'un écho qui se réverbère sur les souvenirs et les inventions. » 
- Luigi Ghirri
Le Centre Canadien d'Architecture présente l'exposition Luigi Ghirri / Aldo Rossi : Des choses qui ne sont qu'elles-mêmes. L'exposition réunit une sélection critique de 39 photographies du regretté Luigi Ghirri sur l'oeuvre architecturale d'Aldo Rossi, ainsi qu'un montage de photographies polaroïds réalisées par Aldo Rossi et qui sont montrées au public pour la première fois.

Luigi Ghirri / Aldo Rossi : Des choses qui ne sont qu'elles-mêmes inaugure une série d'expositions du CCA où est explorée la rencontre de l'architecture et de la photographie, par rapport à leur lien avec le développement et la perception de l'environnement bâti à notre époque. L'exposition est conçue comme un dialogue visuel entre deux figures majeures de l'art et de la culture de l'Italie contemporaine. Cet échange entre le photographe et l'architecte est placé sous le signe d'une profonde affinité, qui découle de leur attrait commun pour une région - la plaine padane du nord de l'Italie - et d'une même foi aussi bien dans le regard autonome du photographe que dans la possibilité de ce regard de révéler à l'architecte de nouveaux aspects de son oeuvre.

Luigi Ghirri a découvert les oeuvres d'Aldo Rossi à la fin des années 70, à l'occasion d'un voyage dont le but initial était de parcourir les paysages de la vallée du Pô. Ces oeuvres l'avaient ébahi, ainsi qu'il le rappelait plus tard, « non pas parce qu'elles appartenaient à la catégorie de l'insolite ou de l'abscons, mais en raison de leur apparence immédiatement familière et en même temps mystérieuse : une fusion extraordinaire du retrouvé et du jamais vu, du connu et de l'inconnu ». Il admirait également « le courage et la civilité avec lesquels Rossi s'était oublié lui-même afin de laisser à l'espace, aux matériaux et aux volumes la tâche de devenir pour nous architecture, afin de laisser le temps et l'usage donner [à celle-ci] un sens ».

Avec ses photographies du cimetière de Modène, en 1983, Luigi Ghirri commençait un examen de l'oeuvre d'Aldo Rossi qui allait s'approfondir - pendant les neuf dernières années de sa vie - sous la forme d'un dialogue intense, au cours duquel l'architecte comme le photographe verraient avancer leurs idées respectives dans des directions inattendues. Pour Luigi Ghirri, la découverte des oeuvres de Rossi transforma l'idée qu'il se faisait de la photographie d'architecture; jusque-là il n'avait vu dans cette photographie qu'un ensemble de conventions usées, la dernière étape du processus d'authentification de l'oeuvre architecturale - depuis l'élaboration du concept jusqu'à la réalisation publiée -, et des images qui, se voulant une iconographie statique et précise, s'apparentaient à des « natures mortes » - elles ressemblaient à des photographies de maquettes plus que de bâtiments réels. Confronté à la simplicité manifeste et à la linéarité des constructions d'Aldo Rossi, Luigi Ghirri a pris conscience de leur vitalité intrinsèque, et il s'est attaché à rendre les surprises et les variations produites par les modifications de la lumière, par les moindres changements de position dans l'espace, et par les résonances inattendues entre un bâtiment et son environnement. À mesure que s'approfondissait son examen de ces oeuvres, Luigi Ghirri en vint à faire sienne également la recherche poursuivie par Rossi sur les éléments de la forme, et à mettre au jour, en redécouvrant ces éléments, des strates de mémoire, de mélancolie et de sens.

L'oeuvre qui en résulte - la recherche de l'inattendu, le rejet de toute forme de choc visuel ou émotif, la construction d'images rigoureusement frontales - réaffirme l'autonomie de l'observateur en même temps qu'elle découvre le caractère autonome de l'objet observé. Rossi n'a pas tardé à reconnaître dans l'oeuvre de Luigi Ghirri un « discours » sur son propre discours, et à convenir de ce qu'il pouvait en tirer : « Les photos de Ghirri, celles de mon oeuvre aussi bien que de mon atelier, représentent ce que je cherchais sans le trouver ». Dans sa lecture à son tour de l'oeuvre de Luigi Ghirri, et dans la représentation qu'elle donnait des caractéristiques essentielles de son architecture, Rossi a trouvé une nouvelle force symbolique : loin d'épuiser ses formes, l'oeuvre de Luigi Ghirri lui révélait dans celles-ci un « univers de signes rigoureusement choisis... des figures dépouillées et essentielles... la langue dans laquelle parlent les choses muettes ».

Il n'est pas étonnant que Luigi Ghirri ait manifesté le plus vif intérêt pour les polaroïds qu'avait réalisés Aldo Rossi dans les décennies précédentes, car il y voyait une passion cachée, les images « secrètes » de l'architecte. Ces polaroïds réunissent indifféremment des façades anonymes et les réalisations de l'architecte, des images sacrées et des affiches publicitaires, les maisons et les intérieurs d'un village de shakers et les façades baroques des églises de Lecce. Luigi Ghirri aurait dit de ces images, citant une phrase qu'il aimait à répéter pour définir la photographie, que ce sont « des énigmes qui se résolvent avec le coeur ». Ces séquences d'images représentaient pour lui « un enchevêtrement de monuments, de lumières, de pensées, d'objets, de moments, d'analogies qui forment notre paysage mental, celui que nous cherchons, quoique inconsciemment, chaque fois que nous regardons par une fenêtre, par une ouverture sur le monde extérieur, comme feraient les points d'une boussole imaginaire qui indiquerait une direction possible ».

Paolo Costantini, conservateur de la collection de photographies du CCA, est commissaire de l'exposition Luigi Ghirri / Aldo Rossi : Des choses qui ne sont qu'elles-mêmes.

Le catalogue qui accompagne l'exposition, coédité par le CCA et la maison Electa, reproduit toutes les photographies présentées dans l'exposition et comprend une préface de Phyllis Lambert, Directeur du CCA, un essai introductif du commissaire, Paolo Costantini, un texte de Luigi Ghirri sur Rossi et un texte d'Aldo Rossi sur Ghirri, écrit spécialement pour cette occasion. Offert à 34,95 $ dans une édition française, anglaise et italienne, le livre de 84 pages est en vente à la Librairie du CCA.

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