Stroll On!
Aspects de l'art abstrait britannique des années soixante (1959-1966)
Derek Boshier, Bernard Cohen, Robyn Denny, Michael Kidner, Phillip King, Gerald Laing, Bridget Riley, Ralph Rumney, Peter Sedgley, Richard Smith, William Tucker
Mamco, Musée d’art moderne et contemporain, Genève
Commissaire : Éric de Chassey
25 octobre 2005 - 15 janvier 2006
La légende voudrait qu’il ait fallu attendre les années 1990 pour que la scène artistique anglaise acquière un dynamisme et une créativité qui pouvaient la placer aux avant-postes de l’art international. Pourtant, trois décennies plus tôt, les artistes anglais produisaient des œuvres dont les questionnements rejoignaient, anticipaient et parfois menaient le monde de l’art dans son ensemble. Que ces artistes aient rarement bénéficié de l’attention qu’ils méritaient résulte moins de leurs créations per se que des structures du marché de l’art et des institutions. Les préjugés liés au « caractère typiquement anglais de l’art anglais » ne devraient plus nous empêcher de voir qu’ils ont fait preuve de la même vitalité, de la même capacité d’intuition, que le Swinging London dont on retient les apports à la musique Pop ou à la mode.
Il ne s’agit pas de refaire ici une histoire exhaustive du monde de l’art anglais dans les années soixante, ni même de mener une analyse sociologique de la scène artistique londonienne de cette époque. L’accent est mit sur l’un des aspects les plus frappants de cette décennie explosive: du fait de peintres tels que Robyn Denny, Ralph Rumney, Bernard Cohen, Bridget Riley et Peter Sedgley, et de sculpteurs comme Phillip King, Tim Scott et William Tucker, des œuvres abstraites ont été créées qui proposent une « étonnante continuité » avec le monde ordinaire plutôt qu’une coupure avec ce dernier au profit de valeurs transcendantales ou mystiques (comme cela avait généralement été le cas dans l’histoire de l’art abstrait). Ces œuvres tissent des liens avec la musique de jazz contemporaine, le rock and roll, les romans de science-fiction, tout autant qu’avec l’histoire de l’art, passé et présent. Ils ont rompu avec l’idée que l’abstraction devrait lutter contre les images et ont souhaité établir une relation vitale entre l’autonomie de l’œuvre d’art et un environnement ordinaire façonné par les mass médias et la culture de consommation (deux mondes trop souvent considérés comme antithétiques).
Ces connections expliquent que l’art abstrait ne soit pas toujours apparu comme distinct du Pop art figuratif. A l’orée des années soixante, Peter Blake et Richard Smith associèrent des motifs et des gestes abstraits aux objets de tous les jours qu’ils peignaient. Au contraire, en 1964-1965, Derek Boshier et Gerald Laing, artistes de la deuxième génération du Pop art, sont passés à l’abstraction en ne retenant de leurs œuvres figuratives antérieures que le dispositif de présentation, sans les objets.
Sans pour autant céder à la compulsion illustrative qui a frappé les artistes Pop, les artistes abstraits rassemblés dans cette exposition se sont positionnés au sein du « continuum entre les beaux-arts et les arts populaires » que décrivait alors le critique d’art Lawrence Alloway. Mettant l’accent sur la relation avec le spectateur, ils ont expérimenté de nouvelles méthodes d’exposition et de nombreux procédés formels, qui faisaient parfois écho à ceux du monde de la publicité et de la signalisation. Leurs œuvres abstraites créèrent ainsi leurs propres lieux spécifiques et/ou la suggestion de voyages physiques ou imaginaires.
Cette exposition suit les chemins insolites que ces artistes ont empruntés, en montrant des œuvres qui possèdent une force visuelle inattendue et impressionnante, des œuvres dont certains questionnements ont été récemment rejoués, la plupart du temps involontairement, par une nouvelle génération d’artistes européens et américains désireux de revitaliser l’abstraction.
Eric de Chassey
Eric de Chassey est Professeur d’histoire de l’art des XXe et XXI e siècles à l’Université François-Rabelais de Tours (France), membre de l’Institut Universitaire de France. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et catalogues d’exposition sur l’art moderne et contemporain. Il a été le commissaire des expositions suivantes « Abstraction/Abstractions : Géométries provisoires » (Musée d’art moderne, Saint-Etienne, 1997), « [Corps] : Social » (Ecole supérieure des Beaux-Arts, Paris, 1999), « Made in USA : L’art américain de 1908 à 1947 » (Musées des Beaux-Arts de Bordeaux, Rennes et Montpellier), « Matisse – Kelly : Dessins de plantes » (Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris, et St Louis Art Museum 2002).
MAMCO
MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN
10 rue des Vieux Grenadiers, 1205 Genève