04/12/05

Exposition Wolfgang Laib, Fondation Beyeler, Riehen / Bâle - "L’éphémère, c’est l’éternité"

Wolfgang Laib 
L’éphémère, c’est l’éternité 
Fondation Beyeler, Riehen / Bâle 
27 novembre 2005 – 26 février 2006 

Né en 1950 à Metzingen en Allemagne, Wolfgang Laib est à ce jour le plus jeune artiste auquel la Fondation Beyeler ait consacré une exposition particulière. Celle-ci est née en étroite collaboration avec l’artiste. Par sa sobriété, l’espace de la Fondation Beyeler, conçu par Renzo Piano, permet une approche particulièrement intense de l’œuvre de Laib.

La création tout à fait singulière de cet artiste, qui repose sur l’emploi de matériaux naturels, fait de Laib une des personnalités marquantes de l’art de ces trente dernières années. Après les expositions que lui ont consacrées plusieurs galeries et musées suisses (dont, en 1990, le Kunstmuseum de Lucerne et plus récemment, en 2003/04, la Galerie Caratsch de Pury & Luxembourg de Zurich), la Fondation Beyeler est le premier établissement suisse à présenter une rétrospective, prenant ainsi en compte tous les aspects de son œuvre. Wolfgang Laib, qui travaille notamment avec du pollen, du lait, du riz et de la cire, se concentre sur un petit nombre de séries dont il poursuit le développement sous forme de cycles. Présentées dans cette exposition, elles révèlent pleinement les dimensions inhabituelles que les installations de cet artiste confèrent à l’espace d’exposition moderne. Ces dimensions sont indissociables de la profonde spiritualité de Laib et de la fusion entre éléments orientaux et occidentaux qui caractérise son œuvre. Médecin de formation, Laib est tout aussi marqué, en tant qu’artiste et en tant qu’homme, par les rites, les formes et la sagesse orientaux que par la mystique d’un saint François d’Assise ou par des artistes modernes comme Mondrian, Malevitch, Brancusi ou Joseph Beuys.

On découvrira dans cette exposition vingt œuvres spatiales ainsi qu’une trentaine de dessins et de photographies, dont certains travaux qui n’ont encore jamais été présentés en Suisse. Chronologiquement, l’exposition s’ouvre sur l’un des deux Brahmandas (Œufs-mondes) en pierre massive, que l’artiste a réalisés au début des années 1970 et qui marquent le commencement de sa carrière artistique. Suivent les Pierres de lait (Milchsteine), premières pièces de musée de Laib, qui voient le jour à partir de 1975 et qu’il continue de décliner aujourd’hui. Les Pierres de lait sont des objets d’une grande sobriété, installés à même le sol. Sur leur partie supérieure, les blocs de marbre rectangulaires présentent une légère déclivité, quotidiennement remplie de lait. Le marbre blanc et le lait se fondent ainsi en une unité indissociable de solidité et de fluidité. Suivent les célèbres Champs de pollen, dont on a déjà pu découvrir certains lors d’expositions temporaires de la Fondation Beyeler (La Magie des arbres, 1998 et Le Mythe de la fleur, 2005). Ils sont constitués de poudre de pollen éclatante, répandue sur le sol du musée où elle dessine des rectangles d’une luminosité magique. L’artiste le recueille lui-même dans les prairies et les forêts de pins de sa Haute Souabe natale. La mise en place du pollen, conservé dans des récipients de verre, fait l’objet d’un processus méticuleusement défini. Sur les photographies publiées dans des catalogues ou des articles de journaux et qui conservent la trace de ce processus, l’artiste apparaît comme un Jackson Pollock méditatif, éparpillant une abstraction spirituelle de pure nature dans le White Cube profane, l’espace d’exposition classique de l’art moderne.

Dans des œuvres comme les Pierres de lait ou les Champs de pollen qui invitent à une contemplation paisible, l’artiste enrichit la salle de musée d’une nouvelle dimension de perception. Il faut attendre les séries ultérieures pour le voir commencer à s’évader du calme statique de l’œuvre et envahir l’espace. C’est le cas, par exemple, des Repas de riz (Reismahlzeiten) – assiettes de laiton remplies de riz, disposées longitudinalement, – ou des petites Cinq montagnes que l’on ne peut escalader (Die fünf unbesteigbaren Berge), réalisées à partir de tas de pollen. Ici, l’œuvre nous invite à la longer et à mesurer à son rythme l’espace dans lequel elle est présentée. Cette tendance à une dynamique spatiale s’accentue considérablement dès que l’artiste se lance dans des travaux de plus grandes dimensions, qui partent également, et de façon croissante, à la conquête de la verticalité. On peut citer, à partir de 1995, les tours qui se dressent sous forme d’escaliers des Ziggourats (Zikkurats) et les Bateaux de cire (Wachsschiffe), qui parcourent l’espace sur de hauts châssis de bois. Les Ziggourats citent des formes d’architecture religieuse orientale, qu’elles traduisent dans un langage que l’on peut appréhender dans l’espace du musée : tandis que notre regard suit la topographie des tours, l’espace du musée se transforme sous nos yeux en lieu d’ascension métaphorique, dont la nature n’est pas exclusivement esthétique. Cette idée de mouvement est encore plus perceptible dans les Bateaux de cire, dont certains, sur leurs châssis de bois, conduisent déjà d’une salle à l’autre. Ici, Wolfgang Laib nous présente le White Cube du musée comme un lieu dont les frontières ne sont pas infranchissables. Jadis récipient d’un statisme artificiellement animé, il devient lieu de départ d’un voyage mythique. À la Fondation, les Bateaux de cire trouvent un lieu d’exposition spectaculaire au Foyer du musée, où ils rencontrent une œuvre monumentale de l’UBS Art Collection, exposée simultanément au musée, mais dans un autre espace.

L’exposition permet à découvrir également des exemples majeurs d’œuvres se présentant elle-mêmes comme espaces, un sommet de la création de Laib. Citons d’abord les Chambres de cire (Wachsräume) créés dès la fin des années 1980, dont on peut découvrir ici un exemplaire. Ne se contentant plus de l’espace (de musée) existant, Laib façonne lui-même des espaces oblongs revêtus de cire mais vides par ailleurs, auxquels la présence du spectateur apporte un complément idéal : l’œuvre elle-même se transforme en lieu. La même observation s’applique à un nouveau travail, la Chambre de laque (Lackraum), fait de laque noire et cinabre tirée de résine de thitsi originaire de Birmanie (Myanmar). Mais si les Chambres de cire et la Chambre de laque transportables sont conçus comme un espace dans l’espace, un dernier pas est franchi comprenant de tels espaces qui sont directement intégrés dans la nature : l’art de Laib s’y émancipe entièrement du White Cube. Il n’existe que deux de ces Chambres de cire, dont l’un a récemment vu le jour sur un terrain appartenant à l’artiste. Il n’est pas accessible au public et figure pour la première fois sous forme de photographie dans le catalogue de l’exposition de la Fondation Beyeler.

On peut également découvrir d’importants travaux du cycle des Maisons de riz (Reishäuser) en forme de coffres, un escalier de laque recouvert de laque birmane et une œuvre murale faite d’éléments de cire triangulaires, qui n’a encore jamais été présentée. Un choix de dessins et de photographies de l’artiste complète l’exposition. Alors que les dessins permettent à Laib d’élargir son travail spatial par des méditations à la fois précises et libres sur papier, les photos témoignent du regard artistique qu’il pose sur des paysages, des monuments et des objets (souvent sacrés), originaires pour la plupart du Proche et de l’Extrême Orient et qui sont d’un immense intérêt pour la compréhension de son œuvre. Ces travaux témoignent en même temps des affinités singulières de Laib avec la dimension du religieux et du contemplatif. Ce lien a conduit certains auteurs à percevoir chez lui une forme d’antagonisme, l’aspect conceptuel et artistique du concept de Laib s’inscrivant, selon eux, dans la pensée occidentale, contrairement à son aspect idéologique et religieux, qui relèverait de l’Orient.

Tel n’est pas l’avis d’Harald Szeemann, particulièrement proche de l’artiste. Il considère que ces deux composantes sont déjà réunies et anticipées par d’autres artistes, dont il considère Laib comme le successeur : Kandinsky, Mondrian et Brancusi. Selon Szeemann, Wolfgang Laib « … n’est pas un européen indianisé qui sert du contexte de l’art, mais il est un contemporain conscient qui indique à travers des gestes sculpturaux minimes, des espaces intérieurs gigantesques ».

Ce ne serait évidemment pas possible sans la position personnelle tout à fait particulière de l’artiste qui réunit des forces extrêmement différentes — depuis une figure comme Bouddha en passant par François d’Assise pour aller jusqu’au mystique soufi Jelaluddin : Laib se présente donc comme un artiste contemporain qui, depuis plus de trente ans, s’accroche au concept radical d’une unité inclusive. Un peu de ce radicalisme résonne dans le sous-titre de l’exposition, inspiré de propos de Laib : — « L’éphémère, c’est l’éternité ».

Les éditions Hatje Cantz ont publié un catalogue bilingue (allemand, anglais) de 124 pages et 50 illustrations en couleurs (CHF 68. –). Il contient des contributions de Christoph Vitali, Katharina Schmidt, Philippe Büttner et Ulf Küster.

FONDATION BEYELER
Baselstrasse 101, 4125 Riehen/Basel
www.beyeler.com