Le Festin de l'Art
Palais des arts et du festival, Dinard
7 juin - 7 septembre 2014
Oeuvre © Jeff Koons. Lobster, 2003 / Pinault Collection
Au Palais des arts et du festival, à Dinard, l’exposition « Le Festin de l’art », explore la question de la relation de l’art contemporain avec la nourriture. Pendant des siècles, la nourriture a, en effet, constitué l’un des thèmes les plus constants de l’art occidental, notamment de la peinture. Il est vrai que beaucoup d’artistes ont trouvé dans la représentation de la nourriture, un thème dont la plasticité, balançant sans cesse entre la somptuosité de l’accumulation des mets et l’austérité pudique de leur rareté, s’est prêtée à d’infinies variations. Des bodegones espagnols, aux stilleben flamandes, en passant par la représentation d’une corbeille de fruits par Le Caravage, c’est toujours la même prédilection pour le genre de la nature morte alimentaire que l’on rencontre. On la retrouve au XVIIIe siècle chez Chardin quand il peint des prunes ou des fraises.
De la même manière, la représentation du repas, qu’il soit mythologique, biblique, historique, aristocratique, bourgeois ou paysan, n’a cessé de fournir aux artistes un sujet dont ils se sont délectés. Il n’est qu’à songer aux innombrables versions des Noces de Cana ou du Repas chez Lévi ou encore du Repas des pèlerins d’Emmaüs, sans compter, naturellement, le repas par excellence qu’est la Cène dont le chef-d’oeuvre de Léonard de Vinci constitue la référence absolue.
La modernité naissante n’a pas mis un terme aux variations sur ces thèmes. L’une de ses oeuvres inaugurales n’est-elle pas, justement, une scène de déjeuner, Le Déjeuner sur l’herbe, de Manet ? De la même manière, on verra les artistes phares du passage du XIXe au XXe siècle, que ce soit Manet, Cézanne ou Matisse, ne pas délaisser la ressource plastique de la représentation des aliments, avec, en général, un parti pris de très grande sobriété qu’illustrent parfaitement les pommes de Cézanne ou les oranges de Matisse.
La création contemporaine, celle des dernières décennies, a-t-elle délaissé ces thèmes ? Non, les artistes ne cessent de s’en emparer. Ils le font, tout d’abord, en perpétuant et en revisitant le « grand genre » de la nature morte, à la fois par la peinture – c’est le cas de Luc Tuymans, Philippe Cognée ou Ulrich Lamsfuss –, mais aussi, de façon intense, par la photographie. En témoignent les oeuvres de Jean-Pierre Sudre, Robert Mapplethorpe, Patrick Faigenbaum, Véronique Ellena ou Jitish Kallat. Très souvent, au-delà de la simple qualité plastique du sujet, les artistes recherchent également dans le traitement du thème, une occasion d’illustrer, la fragilité des choses, leur précarité, leur vanité.
D’autres artistes tels que Hervé Di Rosa, Martin Bruneau ou Isabelle Arthuis se sont attachés à renouveler un autre « grand genre », celui du repas tandis que Daniel Spoerri ou Andres Serrano détournent une icône du genre, la Cène de Léonard de Vinci.
Le détournement est l’un des ressorts de la création contemporaine. À travers les compressions de César, les accumulations d’Arman ou, plus récemment, les cuillers géantes de Subodh Gupta, les couverts et autres ustensiles de cuisine sont remis en perspective, tout comme l’est la nature morte, recomposée au miroir de la culture pop, à l’instar du Foodscape d’Erró, du Lobster de Koons, du Festin de Gilles Barbier ou encore de la série Junk Food d’Aurélie Mathigot.
La création contemporaine qui manifeste, dès son berceau duchampien, qu’« on peut faire de l’art avec n’importe quoi », innove cependant de façon spectaculaire, dans son approche de la question de la nourriture, en s’emparant des aliments eux-mêmes pour en faire le medium de la production d’oeuvres. C’est le cas des reliefs alimentaires figés dans une éternité artistique par Spoerri dans ses tableaux-pièges. C’est le cas également dans les buffets colorés de Dorothée Selz ou avec le Régime chromatique de Sophie Calle. Tantôt, c’est la nourriture qui devient le matériel plastique d’une nouvelle façon de faire de l’art, y compris en prenant en compte les modifications que le temps fait subir à ce matériau inédit, comme dans le Kartoffelhaus de Sigmar Polke, ou encore en instituant le repas non plus comme un objet de représentation mais comme un acte artistique en soi.
La création contemporaine, enfin, déploie dans un contexte historique qui a profondément bouleversé la relation des sociétés avec la nourriture, creusant les disparités entre les parties du monde qui y accèdent avec une abondance inédite et celles qui, déjà frappées de nombreux maux, n’y prétendent que difficilement. L’abondance de la nourriture, elle-même positive dans son principe, devient source de maux et d’inquiétudes, notamment ceux, sanitaires, liés à la surconsommation ou à la « malbouffe ». Cette abondance devient le symptôme même de la société de consommation dont les philosophes, les sociologues, certaines forces morales ou politiques, dénoncent la toute-puissance et la menace.
L’art, fidèle témoin des sociétés et des histoires dans lesquelles il est produit, manifeste, à cet égard, une large capacité de critique de la surabondance alimentaire que traduit, à la fois, la prégnance – dénoncée par Andy Warhol ou Claude Closky – des marques, devenues des icônes des temps modernes et la confusion possible – soulignée par Philippe Mayaux, Guillaume Bresson ou Thomas Mailaender – de la relation des hommes avec ce qu’ils mangent.
L’exposition rassemble près de soixante-dix oeuvres majeures provenant de nombreuses collections, dont la Collection Pinault.