06/06/14

Exposition Manger des yeux, Dinard, Villa Les Roches Brunes

Manger des yeux 
Villa Les Roches Brunes, Dinard 
7 juin - 7 septembre 2014 

A la Villa Les Roches Brunes, à Dinard, l’exposition « Manger des yeux » pose la question du caractère délibéré et donc signifiant, de la mise en scène de la nourriture par ceux qui la préparent. Cette « mise en assiette » traduit, à chaque époque de l’histoire, l’impact des usages, des conventions, des modes, mais aussi de la sensibilité de ceux qui font la cuisine. C’est la raison pour laquelle l’exposition évoque les figures d’un certain nombre de chefs qui, parti pris géographique faisant, se rattachent à l’histoire de la cuisine en Bretagne.

Se démarque, tout d’abord, la figure étonnante et trop souvent oubliée d’Edouard Nignon. Né à Nantes en 1865, il entre, à l’âge de 9 ans, en apprentissage dans un restaurant de cette ville, le Cambronne. Bientôt la Bretagne ne lui suffit plus. Muni d’une lettre de recommandation, il se rend à Paris où il travaille dans les plus grandes maisons. Il est chef entremettier pour l’exposition universelle de 1889, puis chef rôtisseur au Lapérouse. Se sentant à l’étroit dans la capitale, il se laisse gagner par l’appel de l’Europe où la nouveauté vient aussi de l’Est. Le voilà à Vienne puis à Saint- Pétersbourg où, en 1896, il organise le banquet du sacre du tsar Nicolas II. Fortune faite, il retourne en France en 1908 et achète le célèbre restaurant Larue, place de la Madeleine. Il meurt en 1934, à Bréal-sous-Monfort, près de Rennes.

À l’autre bout de la chaîne, se distinguent un des plus illustres chefs bretons de Paris, Alain Passard, né à La Guerche-de-Bretagne, à une vingtaine de kilomètres de Vitré, ainsi que l’ensemble des chefs étoilés du département d’Ille-et-Vilaine, selon le fameux classement du Guide Michelin : Julien Lemarié à Rennes, Sylvain Guillemot à Acigné, David Etcheverry à Saint-Grégoire, Luc Mobihan à Saint-Servan, Olivier Guérin à Saint-Méloir, Jean-Philippe Foucat à Saint-Malo, Olivier Roellinger et Raphaël Fumio Kudaka à Cancale. Tous ces cuisiniers ont été invités à réaliser la même recette de la salade dinardaise, consignée par Edouard Nignon dans son Les Plaisirs de la table, paru en 1930. Leurs réalisations, photographiées par Franck Hamel, permettront aux visiteurs de mesurer la très grande diversité des points de vue sur la mise en oeuvre des mêmes ingrédients de base par des cuisiniers différents. Leur juxtaposition permet ainsi de prendre la mesure de l’importance de la manière non seulement de présenter la nourriture mais aussi de la représenter.

C’est la question que posent, de façon générale, toutes les représentations d’une préparation culinaire ou des produits qui la composent, qu’elles soient destinées à sa description (dans des livres de cuisine ou dans des revues) ou à sa promotion par la publicité, sur tous les supports, y compris aujourd’hui sur Internet. C’est pourquoi seront présentées des affiches et des photographies de produits alimentaires, en l’occurrence bretons. La « réclame » s’est emparée, de façon très précoce, des produits de l’agriculture et de la pêche. Dans la France de la fin du XIXe, Jossot, célèbre caricaturiste, crée une affiche pour les sardines Amieux-Frères. Par la suite, la publicité vantera, dans la France de la Reconstruction, les mérites du petit pois « né en Bretagne ». Un pli était pris et les campagnes de promotion des productions agricoles de cette région, se multiplient, mobilisant, avec subtilité, des codes divers de représentation, oscillant entre le minimalisme et l’opulence.

La cuisine est un art en ce qu’elle agence, avec invention, avec raffinement, avec préciosité parfois, des ingrédients dont l’association n’est dictée par peu de nécessité matérielle. Elle exprime donc une véritable culture. Cette culture se traduit également dans la présentation des mets mais aussi dans leur représentation. Certains chefs, comme Alain Passard, n’hésitent pas à aller plus loin encore, dans la logique de la représentation artistique des ingrédients de leur cuisine. Ils ne les confient pas seulement à des tiers, photographes, mais s’engagent dans la production d’oeuvres, des collages ou des sculptures, donc, les évoquant avec poésie.

C’est à ce point de l’évolution de la représentation de la nourriture que l’exposition de la villa Les Roches Brunes rejoint celle du Palais des arts et du festival : Le festin de l'art.