12/12/21

Absalon Absalon @ Capc, Bordeaux, Musée d’art contemporain de Bordeaux

Absalon Absalon
Absalon, Alain Buffard, Dora García, Robert Gober, Felix González-Torres, Marie-Ange Guilleminot, Mona Hatoum, Laura Lamiel, Myriam Mihindou
Capc, Musée d’art contemporain de Bordeaux
Jusqu'au 2 janvier 2022

Absalon
ABSALON
Solutions, 1992.
Vidéo transférée sur DVD.
Couleur, son. 7’25’’, boucle.
Courtesy de l’artiste et Galerie Chantal Crousel, Paris. 
© The Estate of Absalon

Absalon Absalon est une exposition collective qui prend comme point de départ l’oeuvre prématurément interrompue de l’artiste franco-israélien Absalon pour en proposer une interprétation renouvelée, à travers un réseau d’affinités formelles et conceptuelles avec une sélection d’oeuvres de certain·e·s artistes de sa génération.

Meir Eshel est né à Ashdod en Israël, en 1964. Après avoir démissionné de son service militaire, Meir Eshel s’installe à Paris en 1987 où il s’inscrit, sur les conseils de son oncle, le critique d’art Jacques Ohayon, dans l’atelier de Christian Boltanski à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Jacques Ohayon, collectionneur et enseignant en histoire de l’art, est également une figure flamboyante et subversive de la nuit parisienne. Cette année-là Meir prend le nom d’Absalon, inspiré par un récit de l’Ancien Testament, histoire d’un fils rebelle finalement vaincu et assassiné. Un nom associé à l’idée de révolte, mais aussi de destin tragique. Alors qu’Absalon, encouragé par un cercle d’enthousiastes de plus en plus large, commence à montrer son travail et reçoit rapidement un succès critique, il est admis à l’Institut des Hautes Études en Arts Plastiques, programme annuel dirigé par l’ancien directeur du Musée National d’Art Moderne Pontus Hulten, et par les artistes Daniel Buren et Sarkis. Absalon y rencontre notamment Michael Asher, qui a une influence importante pour la suite de son travail. Alors qu’il commence à collaborer avec la galerie Chantal Crousel à Paris en 1990, il déménage dans un atelier à Boulogne, construit par Le Corbusier pour l’artiste Jacques Lipchitz en 1924. En janvier 1993, il inaugure une importante exposition monographique au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, organisée par Béatrice Parent et Angeline Scherf. Il y présente les prototypes de ses Cellules, des constructions blanches, bâties selon les proportions des mesures du corps de l’artiste et destinées à être installées dans six villes différentes pour y vivre. Conçues comme des « espaces mentaux » par Absalon, les Cellules déterminent une forme de vie fondée sur la résistance, l’habitude, le mécanisme et la contrainte, comme formes non pas d’aliénation mais d’émancipation. Il s’agit pour Absalon de vivre selon ses propres termes en se libérant des identités assignées. En octobre 1993, à l’âge de 28 ans, Absalon succombe aux conséquences du virus du sida, sans avoir pu mener à bien son projet.

Connue, donc, pour ses Cellules, ses constructions architecturales géométriques d’un blanc immaculé, que l’artiste avait conçues et construites pour les habiter, la pratique d’Absalon a souvent été considérée à l’aune d’une généalogie des avant-gardes, dans la continuation d’une abstraction radicale, générique et idéalisée, déconnectée des contingences du monde. Sans nier que l’oeuvre d’Absalon ait des traits communs avec une certaine téléologie historique, l’exposition propose d’en questionner les intentions et significations en en proposant une approche plus subjective, politique et incarnée.

A partir d’une large sélection de ses dessins, maquettes, sculptures, plans et prototypes à l’échelle un, elle entend d’abord montrer comment l’oeuvre d’Absalon s’articule autour d’un unique programme, dont la trajectoire linéaire devait aboutir à un projet de vie, qui dépasserait le champ de l’art. Dès lors, sous son minimalisme de surface perce une multitude de questions sociales, affectives et psychologiques, qui toutes concernent l’émancipation d’un corps physique par rapport au corps social. Une échelle politique, mais absolument personnelle, minoritaire et non prescriptive, telle une poche de résistance lovée au coeur du système, plus implosive qu’explosive. Au sein des Cellules, il est moins question de claustrophobie ou de retranchement que de la construction d’un espace mental et physique à l’échelle un, à la fois protégé et connecté. Un bio-dispositif parasite qui fonctionne comme un lieu de vie et de soin dans un environnement considéré par l’artiste comme un ensemble d’assignations et de déterminations culturelles dont son oeuvre doit lui permettre de s’affranchir.

En regard de cette utopie concrète, dans une logique de dépliage plus que de dialectique, un choix précis de travaux de huit artistes -Alain Buffard, Dora García, Robert Gober, Felix González-Torres, Marie-Ange Guilleminot, Mona Hatoum, Laura Lamiel, Myriam Mihindou- crée des perspectives multiples, qui sont autant de courroies de transmission vers des questions culturelles, spirituelles, identitaires, poétiques et sentimentales, dissimulées au coeur de l’oeuvre-programme d’Absalon, en allant au-delà de son premier abord monolithique et insondable. Elle place rétrospectivement la carrière fulgurante d’Absalon non pas au sein d’un hypothétique esprit des temps (celui des années 1990), mais dans un réseau de résonances politiques, formelles et affectives dont les échos s’entendent encore aujourd’hui.

Reconsidérer l’oeuvre d’Absalon presque trente ans après sa disparition implique d’abord de réfléchir à sa singularité, mais aussi à sa proximité avec une certaine génération d’artistes qui a émergé internationalement au tournant des années 1990. L’oeuvre d’Absalon, tout entière tendue par une volonté de vivre, et de vivre selon ses propres termes, est à situer près de celles des artistes qui, notamment dans le contexte de la lutte contre le sida, ont mis de côté les atermoiements qui avaient un temps séparé l’activisme de la pratique artistique pour se lancer dans des pratiques motivées par l’urgence et la nécessité impérative d’exister et de témoigner. Une dénonciation incarnée, performée, physiquement « incorporée », des mécanismes de l’oppression et du déterminisme, qui place rétrospectivement la carrière fulgurante d’Absalon dans un réseau de résonnances dissidentes dont les échos s’entendent encore aujourd’hui.

Commissaires : Guillaume Désanges et François Piron

Cette exposition est coproduite avec l’Institut Valencià d’Art Modern (IVAM).

Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture / Direction régionale des Affaires culturelles de Nouvelle-Aquitaine. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État.

Capc, Musée d’art contemporain de Bordeaux
7 rue Ferrère, Bordeaux