Kristján Guðmundsson : Dessins et Dessins Olympiques
Galerie Martine et Thibault de la Châtre, Paris
Jusqu'au 2 novembre 2013
C’est avec le groupe SÚM en Islande dans les années 60 que KRISTJAN GUDMUNDSSON (né 1941) débute sa carrière artistique, un groupe fondé par de jeunes artistes avant-garde qui voulaient révolutionner le milieu artistique local et faire découvrir de nouvelles tendances. D'abord influencé par le Pop Art, l’Arte Povera et Fluxus représenté par l´artiste suisse-allemand Dieter Roth qui vivait alors à Reykjavik, ce n’est que plus tard, vers 1970 que certains membres du groupe, pendant un séjour en Hollande, commencent à s’intéresser à l’art minimal, à l’art conceptuel, au livre en tant qu’expression artistique et à la poésie concrète. L’exposition Op Losse Schroeven: Situaties and Cryptostructuren organisée au Stedelijk Museum à Amsterdam en 1969 simultanément à l’exposition d’Harald Szeemann à la Kunsthalle de Berne, Live in your head: When Attitudes Become Form, fut aussi un déclencheur pour ces artistes islandais en quête de nouvelles inspirations et d’ouverture. Si l’on devait nommer deux oeuvres de cette première période de Kristjan Guðmundsson, ce serait : Triangle in a Square (1971-1972) une couche de terre de 4x4 m dans laquelle est inscrit un triangle invisible composé de terre sacrée venant d’un cimetière, et Painting of the specific gravity of the planet earth (1972-73), une plaque en métal peinte représentant la gravité terrestre. Deux oeuvres qui témoignent de l’extraordinaire richesse d’esprit, d’humour et de clarté qui caractérisent tout l’art de Gudmundsson et qui ont fait partie de l’exposition Ends of the Earth. Land Art to 1974 au Musée d’art contemporain de Los Angeles et Haus der Kunst à Munich en 2012.
Cependant c’est à travers le dessin que Kristján Guðmundsson s’exprime le mieux et pendant son séjour à Amsterdam (1970-79 ) il réalise ses premièrs dessins, Supersonic Drawings en tirant une balle de fusil le long d’une feuille de papier de telle façon que la balle touche légèrement le papier et la poudre brûlée laisse une trace linéaire. Il a fallu 1/1500 de seconde à la balle pour traverser la feuille de papier d’une extremité à l’autre, ce que Guðmundsson lui même déclare « être un temps magnifiquement court pour faire un dessin » Un geste qui provoque à la fois admiration et peur et rend le pouvoir du Chronos visible. Avec Equal - Time - Lines (1974-1975) et Faster and Slower Lines (1975-1976) il écrit littéralement le temps en tirant des lignes sur un papier buvard blanc à l’aide d’une règle, un chronomètre et un stylo à encres noire, rouge ou bleu. De cette façon les lignes « lentes » deviennent plus larges que les lignes « rapides » et les lignes « courtes » plus épaisses que les lignes « longues » puisque le tracé de la ligne dépend du temps. C’est donc à travers ce laboratoire de la création qu’est le dessin que Guðmundsson découvre une infinité de possibilités spatiales et temporeles, qui l’emmène à s’intéresser aux outils même de base, le papier, l’encre, la mine de crayon, le pinceau, et le graphite qui deviendra par la suite un des matériaux fondamentaux pour des oeuvres ou la recherche de l’essence même du dessin semble être au centre de ses préoccupations.
Le mot dessin tire son étymologie du mot « dessein », concept, projet, une chose de l’esprit, un sens qui est plus proche de ce que Guðmundsson veut exprimer et pour lequel le dessin est une pratique autonome, capable de véhiculer des réflexions au même titre que d’autres expressions artistiques. En évoquant le mot dessin on pense aussi à l’écriture, tant ces deux mots sont liés à une étymologie grecque commune, graphein, qui signifie « écrire » et d’où sont issus « graphisme » et « graphie », des mots qui sont intimement liés au tracé de la ligne, l’inscription des signes et une matière chère à Guðmundsson qu´est le graphite qu’il utilise par exemple pour ses Dessins Olympiques. Chaque dessin est composé de 4 lignes horizontales en graphite de 130 cm de longueur et accompagné d’un objet d’athlétisme homologué par l'Association internationale des fédérations d'athlétisme ( IAAF ) et faisant ainsi référence aux Jeux Olympiques. Plutôt que d’utiliser le graphite pour dessiner les lignes à la main Guðmundsson fait de chaque dessin un reliefs sculptural et lui attribue un genre en posant des instruments d’athlétisme à côté, tel que le poids féminin ou le poids masculin (différence de taille et de poids pour les épreuves de lancer du poids). « Est-ce que tu as vu un dessin masculin ou féminin » me demanda-t-il avec une subtile graine d’ironie quand je l’ai interrogé à propos des Dessins Olympiques.
Certes le titre des oeuvres nous renvoie à la plus grande compétition sportive dans le monde et ce n’est pas par hasard si Gudmundsson achète le graphite qu’il utilise à Nuremberg, la ville natale de Dürer, qu’il considère le plus grand dessinateur de tous les temps. En dehors des liens esthétiques entre les lignes en graphite et les objets d’athlétisme et l’énergie qu’ils dégagent, n’y aurait-il pas une volonté de nous amener à réfléchir sur un éventuel rapport entre le dessin et la compétition physique dès l’origine ? Deux champs apparemment fort éloignés l’un de l’autre, mais qui pourtant se croisent, s’interrogent, se nourrissent et qui ont des liens qui les unissent par exemple au travers des classements, concours, compétitions, trophées et des prix.
KRISTJAN GUDMUNDSSON a représenté l’Islande à la Biennale de Venise en 1982 et en 2010 il reçoit un des plus prestigieux des prix nordique, Carnegie Art Award pour ses Sound-absorbing paintings. Guðmundsson a participé à de nombreuses expositions monographiques et collectives à travers le monde et en 2012 il participe à l’exposition Explorateurs au Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, Ville des Sables d’Olonne. L’exposition Dessins et Dessins Olympiques à la Galerie Martine et Thibault de la Châtre est la première exposition à Paris de Kristján Guðmundsson depuis sa participation à l’exposition inaugurale du Centre Pompidou en 1977 Ça va, ça va, où il avait exposé à côté de son frère Sigurdur Guðmundsson et de leurs amis Hreinn Friðfinnsson et Thordur Ben Sveinsson.
Laufey Helgadóttir
Galerie Martine et Thibault de la Châtre
4 rue de Saintonge, 75003 Paris
Site internet de la galerie : www.lachatregalerie.com