24/01/21

Peintres femmes, 1780-1830. Naissance d’un combat @ Musée du Luxembourg, Paris

Peintres femmes, 1780-1830
Naissance d’un combat
Musée du Luxembourg, Paris
3 mars - 4 juillet 2021

Julie Duvidal de Montferrier

JULIE DUVIDAL DE MONTFERRIER
Autoportrait
Huile sur toile, 65 x 53,5 cm
Paris, Ecole nationale supérieure des Beaux-arts (ENSBA)

Parcours du demi-siècle qui s’étend entre les années pré-révolutionnaires jusqu’à la Restauration, l’exposition Peintres femmes 1780-1830. Naissance d’un combat comprend environ 70 oeuvres exposées provenant de collections publiques et privées françaises et internationales. L’exposition s’attache à porter à la connaissance du public une question peu ou mal connue : comment le phénomène alors inédit de la féminisation de l’espace des beaux-arts s’articule à cette époque avec la transformation de l’organisation de l’espace de production artistique (administration, formation, exposition, critique) et une mutation du goût comme des pratiques sociales relatives à l’art.

Entre le XVIIIe des Lumières et le second XIXe siècle, celui du Romantisme puis de l’Impressionnisme, la perception de la période est phagocytée par les figures de David et celles des « trois G. » (Gérard, Gros, Girodet). En ce qui concerne les peintres femmes, il en va de même : après le « coup de théâtre » de la réception à l’Académie royale de peinture d’Elisabeth Vigée-Lebrun et Adélaïde Labille-Guiard en 1783, les noms le plus souvent cités sont ceux de Marie-Guillemine Benoît (et son célèbre Portrait d’une négresse — c’est le titre original), Angélique Mongez pour ces grandes machines historiques davidiennes, Marguerite Gérard qui a survécu stylistiquement au goût Rococo et à la renommée de Fragonard, dont elle fut l’élève puis la collaboratrice ou bien encore Constance Mayer dont le suicide semble l’avoir sauvée de l’oubli davantage que son oeuvre souvent réattribuée à Prud’hon, son compagnon de vie et d’atelier. Or, si on se plaît à rapporter souvent cet épisode tragique, c’est qu’il offre une explication commode à l’ « absence des femmes » et une occasion de s’en indigner pour ne pas pousser plus loin l’analyse historique de la période.

Un des enjeux majeurs de l’exposition est celui de la méthode historique, de l’interrogation de cette méthode et de la conscience critique que doit en avoir l’historien (comme le commissaire d’exposition) pour ne pas rompre le contrat de vérité qui le lie à son lecteur. Pour écrire et mettre en scène une histoire qui n’a pas été racontée (celle des peintres femmes), il apparaît essentiel de se doter de moyens nouveaux et, plus humblement d’interroger sans relâche ceux qui ont été mobilisés jusque-là pour écrire une histoire de l’art « sans femmes ».

On a souvent posé la question de l’absence des « grandes » femmes artistes et trouvé une réponse historique à cette absence et à l’ « empêchement » : l’interdiction faite aux femmes de pratiquer le nu et donc la peinture d’histoire, leur niveau moindre de formation, le numerus clausus à l’académie royale, la vocation matrimoniale, maternelle et domestique que leur attribuent les critères de genre, leur minorisation sociale et politique, la limitation de leur pratique à des genres « mineurs ». Tous ces arguments sont documentés, il n’est pas question de le nier. Le problème est qu’ils sont ceux-là même (arguments et documents) et seulement ceux que fournissent l’histoire de l’art traditionnelle et le récit historique dominant. Dans ce récit, on ne parle pas des peintres femmes parce qu’il n’y en a pas ou peu qui sont « grandes ». Parce que le « grand » (grand homme, grand genre, grande oeuvre, grande Histoire) y est un présupposé tout autant qu’une intention esthétique et politique qui détermine des choix, des omissions et des exclusions dans la recherche documentaire.

Un des intérêts de l’exposition est d’avoir déplacé l’origine du point de vue sur les productions des artistes femmes. Les livrets des salons (avec les commentaires des oeuvres, les noms des exposant-e-s), les articles de la presse en pleine expansion à cette époque, les oeuvres elles-mêmes (par qui ont elles été commandées ? achetées ? etc.), les témoignages contemporains constituent un paysage totalement différent de celui que l’histoire de l’art traditionnelle nous a transmis : il est beaucoup plus complexe, et le sort des artistes femmes y apparaît moins tributaire qu’on a voulu le dire du schéma manichéen opprimées/ oppresseurs, empêchées / favorisés, féminin /masculin. Il s’est donc agi de redonner toute sa place aux témoins et aux acteurs de l’époque dont la parole avait été occultée mais aussi aux oeuvres, à la démarche artistique.

Car à ne considérer les oeuvres des artistes femmes qu’à la lumière de leur statut de femme, qu’il s’agisse de démontrer comment elles en pâtirent, comment elles le transgressèrent ou comment elles le revendiquèrent, on ne fait que corroborer et maintenir les présupposés et les valeurs qui ont conduit le modèle historiographique dominant à oublier leur rôle, leur apport et leur place dans l’espace des beaux–arts entre 1780 et 1830 comme dans les importantes mutations que celui-ci enregistre alors — mutations déterminantes pour la seconde moitié du XIXe siècle. L’exposition est aussi un combat contre l’oubli.

Commissariat de l'exposition : Martine Lacas, Docteure en histoire et théorie de l’art, auteure, chercheuse indépendante
Scénographie : Loretta Gaïtis et Irène Charrat

MUSEE DU LUXEMBOURG
19 rue Vaugirard, 75006 Paris