10/10/08

Erwin Blumenfeld, Photographies couleurs, Galerie Esther Woerdehoff

La galerie Esther Woerdehoff présente en exclusivité au public parisien l’exposition des tirages réalisés à base de négatifs numérisés et restaurés des photographies couleurs d’Erwin Blumenfeld réalisées dans les années 40 et 50. Cette exposition est la première présentation des photographies couleurs d’Erwin Blumenfeld (1897-1969) suite au long travail de restauration effectué sur les originaux abîmés par le temps.
Né à Berlin, Erwin Blumenfeld s’établit aux Pays-Bas puis en France où, son talent d’artiste d’avant-garde reconnu, il publiera ses premières photographies dans les grands magazines de l’époque. La vie et l’oeuvre de Blumenfeld suivent les aléas de l’histoire européenne jusqu’à ce qu’il parvienne à fuir la guerre pour l’Amérique en 1941. C’est à New York qu’il devient l’un des photographes de mode les plus importants de sa génération. Si les photographies présentées ont été réalisées en Amérique, leur mise en scène et leurs effets demeurent sous l’influence directe de la photographie européenne des années 20-30 et des mouvements artistiques tels que Dada et le Surréalisme. Le passage du temps avait affadi ces images, la restauration numérique est parvenu à restituer leurs couleurs d’origine et à redonner enfin à ces photographies de l’élégance féminine l’éclat qu’elles méritent.
La vie du photographe Erwin Blumenfeld se déroule entre Berlin, Amsterdam, Paris et New York. Le départ d’Europe marquera le passage de la photographie noir et blanc à la couleur. Né à Berlin en 1897 dans la bonne bourgeoisie juive, le petit Erwin reçoit son premier appareil photo à dix ans. Après le traumatisme de la première guerre mondiale où il part au front comme ambulancier alors que son frère y perd la vie, sa jeunesse se passe entre le rejet de la bourgeoisie dont il est issu et son intérêt pour l’avant-garde artistique européenne. Ami de Paul Citroën et de George Grosz, il s’initie en autodidacte à la photographie, au dessin et au collage. La découverte, en 1932 à Amsterdam, d’une chambre noire délaissée dans sa boutique de sacs à mains, va définitivement changer sa destinée et il deviendra ainsi l’un des photographes de mode les plus célèbres de sa génération. L’accession de Hitler au pouvoir, qu’il exprime par un photomontage à tête de mort, provoque la chute de son commerce de maroquinerie et, par désoeuvrement, il commence à faire poser ses belles clientes devant l’objectif. Le hasard des rencontres et la crise économique lui font bientôt quitter les Pays-Bas pour tenter sa chance à Paris où l’essor de la presse illustrée donne des ailes aux photographes. Arrivé « sans passeport, sans argent et sans famille », tirant gratuitement le portrait du Tout-Paris pour se construire une réputation, Blumenfeld parviendra rapidement à publier ses photographies dans les meilleurs magazines de l’époque : Arts et Métiers Graphiques, Verve, Vogue, Harper’s Bazaar, Life ... Il photographie ainsi Le Dictateur, statue de Vénus surmontée d’une tête de veau, une composition qui sera reprise en peinture par Picabia. Surimpression, répétition, fragmentation, solarisation se retrouvent au fil de ses images et les influences artistiques de Dada, du Surréalisme et de photographes tels Man Ray le poussent à jouer avec des innovations qui se retrouveront ensuite dans lescompositions plus classiques des photographies commerciales. Surpris par la déclaration de guerre, recherché par la police française puis par la Gestapo, prisonnier des camps d’internement pour étrangers, Blumenfeld parvient à quitter la France avec sa famille et trouve refuge à New York accompagnant cette émigration artistique et culturelle qui fuit l’Europe en guerre. Il partage un temps l’atelier de Martin Munkacsi avant de s’établir au 222 Central Park South et devient rapidement un des photographes les plus reconnus et les mieux payés de sa génération, travaillant pour Vogue, Harper’s Bazaar et la publicité. Erwin Blumenfeld décède à Rome en 1969, quelques semaines après avoir achevé son autobiographie, Einbildungs roman, parue en France sous le titre Jadis et Daguerre. Presque tombé dans l’oubli aux Etats Unis, son travail est mieux connu en Europe où ses photographies sont régulièrement exposées. Erwin Blumenfeld raconte comment, lors d’une visite au musée, il découvre, adolescent, les femmes peintes par Cranach et Boticelli : « Je me vouais, résolument, virilement, aux fétiches de ma vie : yeux, cheveux, seins, bouche ». Fasciné par le corps féminin, il en fait le sujet principal de ses photographies, dans les tentatives surréalistes de l’entre-deux guerres comme dans l’application commerciale de la photo de mode, cette « Foire de la vanité ». Ses femmes n’ont pourtant pas la perfection artificielle des modèles d’aujourd’hui ; images de l’élégance au service de la publicité, elles existent aussi par leurs imperfections qui affleurent en surface de la photographie : un grain de peau irrégulier, l’ombre d’un duvet, une ridule, de nos jours rendues invisibles sur les images glacées de la presse féminine. Refusant de montrer la réalité telle qu’elle est, il met en scène ses modèles sous les spots du studio puis recadre, solarise, surimpressionne, joue des miroirs, du décor et des accessoires pour inventer des beautés atemporelles, figures de l’éternel féminin. Parues dans les grandes revues de mode de l’après-guerre, ces photographies figent pour l’éternité les figures de Grace Kelly, d’Audrey Hepburn ou de modèles désormais oubliés.
La fragilité intrinsèque de la photographie couleur au passage du temps se pose de manière aggravée dans le cas des procédés des années quarante et le statut commercial des images d’Erwin Blumenfeld n’a pas facilité leur conservation. Nadia Blumenfeld Charbit, petite-fille du photographe, a souhaité, soixante ans après, retrouver les couleurs d’origine et ce long travail de restauration a été confié à Olivier Beer et Philippe Massat, du laboratoire parisien Vimagie. Les positifs couleurs originaux conservés par le photographe ont ainsi été numérisés puis nettoyés et on acherché à restituer les tonalités du tirage d’origine en s’appuyant sur les impressions parues dans la presse magazine, quand elles existaient. Issues des séries réalisées à la demande des magazines ou de leurs annonceurs, ces photographies répondaient à des exigences spécifiques : le cadrage devait laisser sa place à la typographie et les directeurs artistiques exerçaient leur pouvoir au point où il est parfois difficile d’identifier la volonté première du photographe. La couleur retrouvée, vibrante, déstabilise parfois des regards qui au fil des années et des publications se sont habitués à une patine délavée. Les teintes que le temps et la température avaient fait virer au rose et à l’orangé retrouvent leur nuances d’origine, une robe que l’on croyait grise se révélera verte et le voile du temps disparaît. Deux portfolios de tirages grand format seront édités à l’occasion de cette exposition, en souvenir des portfolios de Vogue qui firent connaître ses premiers succès parisiens à Erwin Blumenfeld dans les années trente et de celui publié par F.C. Gundlach, acquis à l’époque par de nombreux institutions et collectionneurs. Erwin Blumenfeld accordait beaucoup d’importance à la justesse du tirage et de l’impression afin de ne pas perdre l’éclat des teintes de ses images. Ses photographies sont exposées soixante ans plus tard, leur couleurs enfin retrouvées.
Texte de Florence Pillet
Galerie Esther Woerdehoff
36, rue Falguière
75015 Paris – France
mardi – samedi, 14h – 18h