10/07/16

Francis Picabia @ Kunsthaus Zürich

Rétrospective Francis Picabia
Notre tête est ronde pour permettre à la pensée de changer de direction

Kunsthaus Zürich
Jusqu'au 25 septembre 2016

A l’occasion du centenaire de la naissance à Zurich du mouvement Dada, Francis Picabia (1879-1953), artiste encore sous-estimé, se voit consacrer une vaste rétrospective. À travers quelque 200 oeuvres et documents embrassant toute sa carrière, cette exposition, qui a lieu dans le cadre des Festspiele Zürich, s’intéresse aux succès précoces obtenus par Picabia comme peintre impressionniste ainsi qu’à sa contribution essentielle au dadaïsme et à l’histoire de l’art moderne.

FRANCIS PICABIA : IMPRESSIONNISTE, DADAÏSTE, FIGURATIF ET ABSTRAIT
Élevé dans un milieu aisé, Francis Picabia entre à l’âge de 17 ans à l’École des Arts Décoratifs de Paris. Il vend avec succès ses tableaux de style impressionniste. Mais les trouvant trop décoratifs à son goût, il part en 1913 pour New York, où il participe à la mythique exposition Armory Show. Il y rencontre l’influent galeriste Alfred Stieglitz, qui, la même année, lui consacre une exposition particulière. C’est à cette époque que Picabia réalise ses plus grands tableaux, dans lesquels il incorpore des éléments orphiques cubistes. Mais à la différence des cubistes Pablo Picasso et Georges Braque, ces toiles reflètent un plaisir d’expérimenter avec la couleur et intègrent l’analyse de formes en mouvement dans l’espace extérieur.

FRANCIS PICABIA : AMOUREUX DE LA LANGUE ET DE L’IMPRIMÉ, MÉCÈNE DE TZARA
Francis Picabia ne rentre en Europe qu’après la Première Guerre mondiale. Il n’est donc pas à Zurich lors de la naissance de Dada le 5 février 1916. Toutefois, du fait de son étroite amitié avec Tristan Tzara, cofondateur du mouvement, il va vite en devenir l’un des représentants et l’un des principaux financeurs. À Barcelone, en janvier 1917, il fonde la revue dadaïste «391», qui paraîtra 19 fois avant de s’arrêter en 1924. On voit donc apparaître ici une autre passion de Francis Picabia: l’imprimé comme format à part entière, et la langue, qu’il s’agisse de prose ou de poésie. De son vivant, Picabia publie des aphorismes, des manifestes, des essais et des textes illustrés d’une inventivité extraordinaire. Entre 1915 et 1920, pendant sa période dadaïste, il réalise les tableaux «mécanomorphes», qui comptent parmi ses oeuvres les plus célèbres. Mais des querelles internes conduisent Picabia à se séparer officiellement du groupe Dada en 1921.

FRANCIS PICABIA : CONTRE LE NÉOCLASSICISME. THÉATRE, DANSE ET CINÉMA
Pour Picabia, comme pour Jean Cocteau, Pablo Picasso et beaucoup d’autres artistes de sa génération, les années 1920 marquent le début du «Retour à l'Ordre» – retour nostalgique à des valeurs sûres. Sur le plan artistique, cela se traduit par un langage formel conservateur, tributaire de la la figuration et du naturalisme. Si Picabia suit cette tendance générale, ce n’est toutefois pas sans distance critique. Cette décennie est en effet celle où il créé son ensemble d’oeuvres le plus varié. Entre 1923 et 1926, il réalise des collages d’objets muraux comme «Femme aux allumettes» (collection privée) et «Pailles et cure-dents» (Kunsthaus Zürich). S’y ajoutent les «Monstres» au propos fortement empreint de critique sociale (à partir de 1924), et les «Transparences» aux filigranes d’inspiration classique (à partir de 1927). La diversité des contenus de l’oeuvre de Picabia s’exprime aussi dans le plaisir manifeste qu’il avait à expérimenter différentes techniques: il recourt par exemple à la peinture émail Ripolin, utilisée d’ordinaire pour peindre les bateaux. En 1924, il collabore comme scénariste, costumier et décorateur au ballet «Relâche» ainsi qu’au film «Entr’acte», auquel participent également René Clair, Erik Satie, Man Ray et Marcel Duchamp. À partir de 1925, l’artiste tourne le dos à l’agitation parisienne et entame une vie mondaine sur la Côte d’Azur. Dans les années 1930 et 1940, son oeuvre se caractérise par de véritables expérimentations stylistiques. En attestent par exemple ses «pin-up» controversées, à dimension clairement érotique et politique, qui reposent sur la fusion de différents modèles photographiques empruntés à la culture de masse et peuvent donc être considérées comme annonciatrices du Pop Art. Autre exemple, ses «Points», qui révèlent son obsession des empâtements de peintures à l’huile sous une forme réduite à l’extrême. Picabia cherche inlassablement à se réinventer lui-même. Après l’attaque dont il est victime en 1951 et jusqu’à sa mort en 1953, il oscille constamment entre agonie artistique et euphorie – mais cette tendance était apparue dès les premiers traitements contre la neurasthénie qu’il avait suivis à partir de 1912 à Étival et à Lausanne.

FRANCIS PICABIA : UNE OEUVRE QUI RÉSERVE ENCORE DES SURPRISES
Parmi les grands artistes du 20ème siècle Francis Picabia reste une personnalité controversée. Tout au long de sa vie, il a sapé les mécanismes des jugements de valeur visant à différencier et à hiérarchiser le grand art et le kitsch ou le conservatisme et le radicalisme. Très critique envers lui-même, armé d’un humour mordant, il remet en cause les fondements de l’art moderne. Les oeuvres sélectionnées par la commissaire Cathérine Hug (Kunsthaus Zürich) en collaboration avec Anne Umland, commissaire au MoMA de New York, illustrent cette personnalité aux multiples facettes. L’oeuvre de Picabia défie notre compréhension de ces fameux «ismes» apparus en nombre dans la première moitié du 20ème siècle et qui sont profondément ancrés dans la mémoire collective de l’histoire de l’art. Outre quelque 130 peintures, seront également visibles des revues d’avant-garde et des exemples de ses travaux théâtraux et cinématographiques – un total d’environ 200 oeuvres et documents provenant d’importantes collections publiques et privées. La structure de l’exposition est en grande partie chronologique – avec des ruptures reflétant les mutations stylistiques de l’oeuvre de Picabia. On est tout de suite frappé par la diversité des techniques picturales: peintures de style impressionniste, représentations stéréotypées d’Espagnoles, abstractions d’aspect technico-mécanique ou «Nus» inspirés de photos de la publicité et de la presse de boulevard sont réunis en différents groupes. Si les oeuvres de Picabia datant des années Dada sont bien connues, l’ensemble de son travail réserve encore bien des surprises. On a ainsi redécouvert une série d’oeuvres présentées lors de l’exposition organisée à la Galerie Dalmau, en 1922 à Barcelone, dont André Breton avait préfacé le catalogue. Seront visibles pour la première fois à Zurich les grands formats de trois mètres sur trois «Edtaonisl (ecclésiastique)» qui vit le jour en 1913 (The Art Institute of Chicago) et «Udnie» (Musée national d’art moderne, Paris), qui date de la même année. Ce couple d’abstractions, réalisé peu après la visite de l’Armory Show en 1913 et exposé au Salon d’Automne de Paris 1913, laisse imaginer l’enthousiasme et l’émoi que suscitèrent ces oeuvres il y a 100 ans. Pour la première fois depuis bientôt 70 ans, elles sont réunies et de nouveau visibles ensemble.

PUBLICATION
Un catalogue en trois langues (français, anglais, allemand) richement illustré (368 pages, environ 300 reproductions) contenant de nouveaux articles scientifiques de Cathérine Hug (avec des propos contemporains de Peter Fischli, Albert Oehlen, Rita Vitorelli et d’autres personnalités), Anne Umland, George Baker, Carole Boulbès, Masha Chlenova, Michele Cone, Briony Fer, Gordon Hughes, David Joselit, Jean-Jacques Lebel, Bernard Marcadé, Arnaud Pierre, Rachel Silveri, Juri Steiner, Adrian Sudhalter et Aurélie Verdier, est paru aux éditions Fonds Mercator (Bruxelles).

Cette exposition est le fruit d’une collaboration avec le Museum of Modern Art de New York, qui l’accueillera à son tour du 20 novembre au 19 mars 2017.

Avec le soutien des Festspiele Zürich, de la Fondation Ernst Göhner et de la Fondation Truus und Gerrit van Riemsdijk.

Kunsthaus Zürich
www.kunsthaus.ch