Une ville pour l’Impressionnisme :
Monet, Pissarro et Gauguin à Rouen
Musée des Beaux-Arts de Rouen
Commissariat : Laurent Salomé, Directeur des musées de Rouen
Jusqu’au 26 septembre 2010
Le rôle joué par Rouen dans l’histoire de l’art à la fin du XIXe siècle est considérable. Si la ville n’a cessé d’attirer les artistes depuis la Renaissance, la fascination qu’elle exerce atteint son apogée à l’époque impressionniste, alors que se mêlent les prestiges de son essor industriel, de son site spectaculaire et de son patrimoine architectural intact. Cette ville que Pissarro trouve « aussi belle que Venise » devient dès lors un lieu emblématique de la peinture moderne.
Une centaine de chefs-d’oeuvre de Monet, Gauguin, Pissarro et d’autres grands peintres de la fin du XIXe siècle, sont réunis pour explorer l’un des derniers grands thèmes de l’histoire de l’impressionnisme qui n’ait pas fait l’objet d’une exposition : la cité normande comme laboratoire de la nouvelle peinture, entre agitation urbaine et ruralité, vieilles pierres et industrie galopante, le tout vibrant des reflets de la Seine.
Une destination pour les peintres voyageurs du XIXe siècle
Bénéficiant d’une situation privilégiée sur la Seine, entre Paris et la côte normande, Rouen est une ville prisée par les paysagistes dès le début du XIXe siècle. L’exemple donné par le peintre anglais Richard Parkes Bonington, dont le style résolument moderne s’exprime dans des œuvres aux qualités atmosphériques saisissantes, a profondément changé l’appréhension du paysage par les peintres français. Ayant parcouru la Normandie à ses côtés, Paul Huet, initiateur du paysage romantique, offre des vues de la campagne rouennaise en rupture avec le courant classique, tandis que Jean-Baptiste Camille Corot privilégie lui aussi le travail sur le motif et sur la lumière. Considéré par beaucoup comme « le premier des impressionnistes », Johan Barthold Jongkind livre également des vues de Rouen marquées par un sens aigu de la lumière et une recherche manifeste de l’effet pur. C’est néanmoins avec Joseph Mallord William Turner que Rouen devient un motif d’étude à part entière, ce dont témoigne un grand nombre d’esquisses et d’aquarelles. Non seulement les œuvres qu’il réalisa sur les bords de la Seine lui valurent ensuite l’admiration de Monet et Pissarro, mais on note aussi que les Cathédrales de Monet ne sont pas sans évoquer les vues de cet illustre prédécesseur.
Une ville sur l’eau : reflets impressionnistes
Installée dans une boucle de la Seine, Rouen offrait aux peintres de nombreux motifs à explorer. La Seine, d’abord, devient le motif même de nombreuses toiles ; à l’image de Claude Monet lors de son premier séjour en 1872 ou de Camille Pissarro en 1883, l’attention des peintres se porte principalement sur le fleuve, animé parfois des tours de la cathédrale gothique et de grands voiliers. La Seine se prête en outre à des études d’atmosphère particulièrement prisées par les peintres de la mouvance impressionniste ; Armand Guillaumin devait développer à Rouen un art du paysage teinté d’un certain romantisme, manifeste notamment dans les représentations enneigées des rives du fleuve. C’est ensuite l’effervescence du port que les peintres mettent à l’honneur dans leurs toiles. Monet et Pissarro certes, mais encore Albert Lebourg, se sont attachés à rendre compte de l’industrialisation de la ville. Enfin cette silhouette même de « ville aux cent clochers » se prêtait particulièrement bien aux variations impressionnistes ; quelques sites de la ville, particulièrement pittoresques, à l’image de la Rue de l’Épicerie, ont plus particulièrement retenu l’attention des artistes.
Une ville au coeur de la campagne normande
La campagne rouennaise offrait également aux peintres de nombreux motifs propres à stimuler leurs recherches esthétiques d’un nouveau genre. Parmi d’autres, Charles Angrand fut l’un de ces peintres de plein air qui mirent la lumière au cœur de leurs œuvres. De façon plus significative encore, la parenthèse rouennaise de Paul Gauguin, en 1884, est à l’origine d’une trentaine de tableaux, parmi lesquels une majorité de paysages. Dans ces vues peintes au rythme des saisons, de janvier à novembre, Gauguin réalise des œuvres impressionnistes denses et équilibrées, dans lesquelles se lisent les influences conjointes de Cézanne et de Pissarro. De même, Alfred Sisley, qui séjourne chez François Depeaux en 1894, met à profit la proximité immédiate de l’eau et d’une végétation luxuriante pour traduire dans une gamme très diversifée d’effets colorés la richesse de la nature normande.
Rouen, objet de séries d’oeuvres
La série des Cathédrales de Rouen par Monet constitue l’un des sommets de l’impressionnisme. Mené en deux campagnes distinctes dont les détails sont bien connus, ce travail est une étape majeure dans la disparition du motif, certes toujours identifié mais dissout dans l’étude atmosphérique. Chaque jour, le peintre, qui mène plusieurs toiles de front, se trouve confronté à d’importantes difficultés, inhérentes au motif lui-même, cette dentelle de pierre gothique animée de jeux de lumière en perpétuel mouvement. Ce sont incontestablement ces œuvres, dont la juxtaposition est saisissante, qui ont fait de Rouen un motif significatif de modernité et un jalon important de l’histoire de l’art.
C’est à Rouen, en 1896, que Pissarro lança ses premières vraies séries de paysages urbains. L’influence picturale de Monet joua probablement un rôle dans le choix de Rouen, que Pissarro arpenta en 1895 juste après la présentation de la série des Cathédrales à la Galerie Durand-Ruel. A son tour, il produit en tout trente-huit vues de la ville en 1896, dix-neuf en 1898, caractérisées par une large touche et une rapidité d’exécution inédite. Pour la première fois, toutes les œuvres de la série sont centrées autour de la Seine, sujet éminemment pictural autant que poétique.
Un attachement durable des artistes à Rouen
La permanence des motifs impressionnistes caractérise un large pan de la production picturale des années 1890-1920. Qu’il s’agisse de Charles Angrand, de Paul Signac ou de Raoul Dufy, nombreux sont les peintres à s’installer à Rouen, pour une période plus ou moins longue, mais toujours pour s’approprier à leur tour un site peint par d’illustres aînés. Le fleuve, les ponts qui le traversent et le port qui l’anime, ainsi que la ville et ses clochers, restent au début du XXe siècle des sources d’inspiration fécondes. On peut lier à cet attachement le développement spectaculaire de « l’école de Rouen » : les « mousquetaires » (Charles Angrand, Charles Frechon, Joseph Delattre, Léon-Jules Lemaître), ont produit dès les années 1880 un certain nombre d’authentiques chefs-d’œuvre, et la génération suivante apporte d’autres grandes figures, dominées par Robert Antoine Pinchon qui, après une période fauve au tournant du siècle, prolongent le rayonnement de l’impressionnisme au-delà de la première guerre mondiale.
L‘exposition bénéficie d’un mécénat exceptionnel du CIC - banque BSD-CIN
Musée des Beaux-Arts de Rouen
4 juin - 26 septembre 2010