26/01/10

Le Douanier Henri Rousseau – Fondation Beyeler



HENRI ROUSSEAU

Fondation Beyeler
Riehen/Basel, Suisse
7 février - 9 mai 2010

 Henri Rousseau, Joyeux farceurs, 1906, Huile sur toile
   Henri Rousseau, Joyeux farceurs, 1906
   Huile sur toile, 145,7 x 113,3 cm
   © Philadelphia Museum of Art,
   The Louise and Walter Arensberg Collection, 1950


Alors qu’il n’avait fréquenté aucune école d’art, le douanier Henri Rousseau (1844-1910) a peint des oeuvres éloignées de toute tradition académique, ne consacrant d’abord à son art que ses heures de loisir. Longtemps méconnu en tant que peintre naïf, il s’est imposé tardivement dans les salons parisiens. Parallèlement aux légendaires tableaux de jungle caractéristiques de son oeuvre tardive, Rousseau a peint des vues de Paris et des paysages environnants ainsi que des représentations de personnages, des portraits, des allégories et des scènes de genre. Avec Monet, Cézanne, van Gogh et Gauguin, Rousseau compte parmi les principaux artistes à avoir, par leurs inventions picturales, préparé la voie aux débuts de l’art moderne. Après le regard nouveau posé sur le monde visible par les grands impressionnistes et leurs héritiers directs, Rousseau a exploré des voies encore insoupçonnées en s’affranchissant de l’enseignement académique. Cultivant des conceptions artistiques dont la naïveté n’est qu’apparente, il a, dans ses tableaux de jungle notamment, porté le genre du paysage imaginaire, onirique, à des sommets sans précédent.
Cent ans après la mort du peintre français Henri Rousseau, la Fondation Beyeler consacre une exposition à ce pionnier de l’art moderne. Quarante oeuvres majeures rendront compte de l’évolution et de la diversité de son oeuvre et offriront, sous une forme très dense, un vaste aperçu de sa création.
L’exposition révèle la manière dont Rousseau a associé dans l’image des éléments empruntés pour les uns à la civilisation, pour les autres à la nature, intégrant ainsi dans sa conception picturale des thèmes d’une grande diversité. Il a transféré d’un tableau à l’autre certains motifs isolés tels que des feuilles ou des arbres, mais également des figures, et même des structures picturales ou des éléments de composition tout entiers. Ce schéma fondamental, élargi en une riche palette de motifs et de genres par des procédés de combinaison et de variation, se retrouve dans son traitement de sujets typiquement français aussi bien que dans ses scènes exotiques. L’espace pictural est créé de l’arrière vers l’avant par l’empilement d’éléments picturaux, une méthode qui sera reprise par les cubistes. Cette construction additive sous forme de collage peint anticipe l’autonomie de la surface picturale caractéristique de l’art moderne, une innovation qui a fasciné de jeunes artistes comme Pablo Picasso ou Fernand Léger.

Henri Rousseau, Les joueurs de football, 1908, Huile sur toile
  Henri Rousseau, Les joueurs de football, 1908
  Huile sur toile, 100,3 x 80,3 cm
  © Solomon R. Guggenheim Museum, New York


Afin de bien mettre en relief ces aspects spécifiques de la création de Rousseau, l’exposition recourt à deux formes de présentation. Elle retrace d’une part l’éventail de thèmes traités par Rousseau à l’aide de groupes d’oeuvres répartis dans les différentes salles. Après un espace documentaire introductif, on accède à une salle consacrée aux portraits, suivi d'un espace réservé aux paysages français de petit format, avec pour finir la grande salle, essentiellement dominée par les tableaux de jungle. Est intégré parallèlement, au sein même de cette disposition, une sélection de tableaux, en groupes de deux ou plus, qui s’affranchissent délibérément des limites traditionnelles de genre. Ce procédé permet d’illustrer la migration des motifs typique de Rousseau, ainsi que sa façon de jouer avec les oppositions. La juxtaposition du tableau de jungle tardif, Forêt vierge au soleil couchant de 1910 environ, et de la scène de personnages, Les joueurs de football de 1908 (Solomon R. Guggenheim Museum, New York), permet ainsi une comparaison directe : le ballon qui plane au-dessus des joueurs de football évoque le motif déplacé d’un soleil couchant — une composition presque surréaliste, qui inspirera plus tard Max Ernst et René Magritte. De même, sont pour la première fois accrochées côte à côte dans cette exposition trois oeuvres maîtresses de Rousseau qui relèvent de genres tout différents, mais présentent un schéma de composition largement identique : la scène champêtre La noce, 1904-1905, La muse inspirant le poète, 1909, de la série des « portraits-paysages », et Joyeux farceurs, un tableau de jungle créé en 1906 (Philadelphia Museum of Art, The Louise and Walter Arensberg Collection).
Henri Rousseau a commencé par peindre essentiellement un grand nombre de tableaux en petit format représentant des faubourgs français et la nature qui l’entourait immédiatement. On voit ainsi se cristalliser un intérêt tout particulier pour des motifs qui donnent à voir les espaces de transition entre la civilisation rationnellement organisée et le désordre, la sauvagerie de la nature. Dans les petits paysages français, cet univers « étranger » apparaît sous les traits d’une forêt impénétrable à l’arrière-plan, ou sous ceux d’une zone distincte de l’image : la nature apparaît à travers une clôture ou derrière un rempart. Dans L’octroi, vers 1890, par exemple, le lieu de passage est marqué par un des « postes de douane » où le « douanier » a exercé son métier jusqu’en 1893. Rousseau a accordé une place centrale dans ses tableaux à ce lieu de transition entre l’ordonné, le familier et l’inconnu, l’étranger, comme on peut le voir clairement, par exemple, dans Promeneurs dans un parc de 1907-1908. Dans ses célèbres tableaux de jungle, cet artiste qui n’avait jamais mis les pieds dans une forêt vierge a réussi à quitter intégralement  — en imagination du moins — la sphère de l’univers domestiqué pour se transporter du côté du « sauvage ». Par ailleurs, Rousseau a prêté à ces forêts rêvées une réalité picturale dans des formats beaucoup plus importants.

Henri Rousseau, Forêt tropicale avec singes, 1910, Huile sur toile
  Henri Rousseau, Forêt tropicale avec singes, 1910
  Huile sur toile, 129,5 x 162,5 cm
  © National Gallery of Art, Washington, D.C., John Hay Whitney Collection, 1982
  © National Gallery of Art, Washington, D.C., Courtesy of the Board of Trustees


Le sommet de l’exposition est constitué par un important groupe des célèbres tableaux de jungle de Rousseau. Il convient de mentionner tout particulièrement  une oeuvre centrale — à côté du tout premier tableau de jungle de Rousseau, Surpris ! de 1891 conservé à la National Gallery de Londres —, l’énigmatique Charmeuse de serpents de 1907 (Musée d’Orsay, Paris). Elle entretient un rapport direct avec la Collection Beyeler par le biais du chef-d’oeuvre monumental qui appartient à celle-ci, Le lion, ayant faim, se jette sur l’antilope, 1898/1905, que Rousseau a exposé lors de sa première participation au Salon d’Automne de 1905. En mars 1906, Ambroise Vollard fit l’acquisition de cette toile sensationnelle — qui fut ainsi la première œuvre de Rousseau à arriver sur le marché de l’art. Ernst Beyeler l’a intégrée à sa Collection en 1988. Lors de l’inauguration de la Fondation Beyeler en 1997, ce tableau s’est vu accorder une place d’honneur, dans une salle particulière.
Cette exposition rend également compte de l’intérêt attesté de Rousseau pour la photographie : on peut démontrer que certaines de ses compositions — comme La carriole du père Junier de 1908 — s’inspirent directement de photographies. En peignant, Rousseau a imaginé un monde nouveau, qu’il a disposé en différents plans, sous forme de tableau, devant l’objectif de son appareil photographique imaginaire. Parallèlement à la fidélité photographique, il a toujours cherché à tenir à distance le monde représenté, comme le montre de façon prégnante la toile intitulée La noce de 1904-1905, qui s’écarte du modèle par des déformations d’échelle et de proportions.
Rousseau a ouvert à la peinture une nouvelle vision de l’imaginaire. Il appréhendait essentiellement la réalité par l’observation, la reproduction et la transformation du visible. Il a ainsi appris à l’art moderne à construire l’inconnu à partir d’éléments formels du connu. Ce faisant, il a défini une nouvelle logique et établi une nouvelle mécanique de la structure de l’image, qui ont exercé une grande influence sur les artistes de la génération suivante, jusqu’aux surréalistes. Le jeune Robert Delaunay, un de ses amis, et Wassily Kandinsky ont été parmi les premiers à prendre conscience de l’importance fondamentale de Rousseau. Le « banquet Rousseau » que Picasso a organisé en novembre 1908 dans son atelier du Bateau Lavoir de Montmartre est entré dans la légende. On pouvait notamment rencontrer parmi les invités Georges Braque, Guillaume Apollinaire, Gertrude et Leo Stein. C’est dans cet esprit que les salles jouxtant l’exposition présenteront les œuvres cubistes de la Collection, de Picasso comme de Léger, révélant ainsi comment les artistes des générations ultérieures ont adopté et développé les méthodes picturales de Rousseau.
L’exposition et le catalogue qui l’accompagne ont été conçus par Philippe Büttner, conservateur à la Fondation Beyeler, en collaboration avec Christopher Green, professeur émérite d’histoire de l’art au Courtauld Institute de Londres. Green a été un des commissaires de l’exposition Henri Rousseau : Jungles à Paris que l’on a pu voir en 2005/2006 à la Tate Modern, au Grand Palais de Paris et à la National Gallery of Art de Washington, D. C.
Le catalogue de l’exposition, publié en éditions allemande et anglaise chez Hatje Cantz, Ostfildern, contient des articles de Philippe Büttner, de Christopher Green, de Franz Hohler et de Daniel Kramer ainsi que des commentaires d’œuvres de Philippe Büttner, Nancy Ireson, Daniel Kramer et Simone Küng. 120 pages, 87 illustrations dont 82 en couleurs, CHF 64.–.
De nombreux et prestigieux musées et collections particulières d’Europe et d’Amérique ont contribué à exposition par leurs prêts. Un grand nombre de tableaux proviennent du Musée national de l’Orangerie et du Musée d’Orsay de Paris. Des oeuvres ont également été prêtées par le Musée national Picasso et le Musée national d’art moderne / Centre Georges Pompidou de Paris, la National Gallery, The Samuel Courtauld Trust / The Courtauld Gallery et The Mayor Gallery de Londres, le Solomon R. Guggenheim Museum et le Metropolitan Museum of Art de  New York, la National Gallery of Art de Washington, D.C., la Phillips Collection de Washington, D.C., le Philadelphia Museum of Art, le Musée national de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, le Kunstmuseum de Bâle, le Kunsthaus de Zürich auxquels s’ajoutent un grand nombre de collections particulières.

HENRI ROUSSEAU
FONDATION BEYERLER, Riehen/Basel
7 févier – 9 mai 2010
Actuellement à la Fondation Beyeler : Exposition retrospective Jean-Michel Basquiat
Précédentes expositions récentes à la Fondation Beyeler
Günther FORG, 27 novembre 2009 - 28 février 2010
Alberto GIACOMETTI, 31 mai - 11 octobre 2009
Franz WEST, 7 mai - 6 septembre 2009