Berthe Morisot et l’art du XVIIIe siècle
Musée Marmottan Monet, Paris
18 octobre 2023 - 3 mars 2024
(Adèle d’Affry, duchesse de Castiglione-Colonna, dite)
Portrait de Berthe Morisot, 1875
Huile sur toile, 165 x 113 cm
Fribourg, Musée d’art et d’histoire
© Primula Bosshard
Berthe Morisot et l’art du XVIIIe siècle est une exposition inédite présentée par le musée Marmottan Monet à Paris. Soixante-cinq œuvres provenant de musées français et étrangers ainsi que de collections particulières sont réunies pour la première fois afin de mettre en lumière les liens qui unissent l’œuvre de la première femme impressionniste, Berthe Morisot (1841-1895) à l’art d’Antoine Watteau (1684-1721), François Boucher (1703-1770), Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) ou encore Jean-Baptiste Perronneau (1715-1783).
S’appuyant sur une analyse de sources principalement inédites (correspondances, carnets de notes de Berthe Morisot et de son époux Eugène Manet et de leur entourage, coupures de presse) et sur une étude généalogique approfondie, l’exposition et son catalogue apportent un éclairage nouveau sur un sujet souvent évoqué par les historiens sans pour autant avoir fait l’objet d’une recherche dédiée et exhaustive. S’il est démontré que Berthe Morisot n’est pas l’arrière-petite-nièce de Jean-Honoré Fragonard et n’entretenait aucun lien de parenté avec ce dernier, l’exposition met l’accent sur les véritables fondements de ces affinités artistiques retraçant la chronologie de leurs développements ainsi que leurs principales caractéristiques.
Au Bal, 1875
Huile sur toile, 62 x 52 cm
Paris, Musée Marmottan Monet
© Musée Marmottan Monet
L’exposition s’ouvre sur l’une des œuvres les plus emblématiques de Berthe Morisot, Au bal (1875, musée Marmottan Monet) : figure en buste d’une parisienne en robe de bal, un éventail orné d’une scène galante déployé à la main. Deux éventails en soie du XVIIIe siècle dont celui représenté sur le tableau, tous deux ayant appartenu à Berthe Morisot, sont exposés pour la toute première fois et réunis pour l’occasion en regard du portrait. Illustration d’un « art de vivre à la française », ils témoignent d’un héritage du siècle des Lumières particulièrement prégnant dans le milieu de la Haute Bourgeoisie auquel Berthe Morisot appartient.
Jeune Femme debout, en pied, vue de dos
vers 1762-1765
Sanguine sur papier vergé, 37 x 25 cm
Orléans, Musée des Beaux-Arts
© François Lauginie
La première section revient sur un cadre de vie où l’art du XVIIIe siècle est encore bien présent et met en évidence ses aspects peu connus. Un portrait en pied du préfet Tiburce Morisot (1848, musée des beaux-arts Limoges), le père de l’artiste, posant devant une galerie de peintures rappelle son rôle dans la création des musées de Limoges, musée des beaux-arts où furent réunies des œuvres du siècle précédent, et musée Adrien Dubouché. L’hôtel particulier aménagé à Paris par le peintre Léon Riesener (1808-1878), petit-fils de l’un des plus grands ébénistes du XVIIIe, Jean-Henri Riesener (1734-1806), où la jeune Berthe évolue recrée un décor XVIIIe. Un ensemble de toiles peintes par Rosalie Riesener permet de reconstituer cet intérieur orné de meubles estampillés, de lambris et de tapisseries d’après François Boucher. C’est dans ce cadre que Berthe Morisot pose pour le portrait monumental que lui dédie Adèle d’Affry, la duchesse Castiglione Colonna, connue sous le nom d’artiste, Marcello (1836-1879). Ainsi, la réhabilitation de la peinture du XVIIIe siècle qui est concomitante aux débuts de Berthe Morisot, l’organisation d’expositions temporaires dans les années 1860 puis l’entrée au musée du Louvre d’un ensemble historique connu sous le nom de legs La Caze, vient compléter une esthétique du quotidien et du beau monde. C’est la fusion de ces deux éléments qu’illustrent les œuvres magistrales signées Morisot vers 1875-1880 : Jeune femme arrosant un arbuste (Richmond, Virginia Museum of Fine Arts); Femme en gris debout (collection particulière) présentées en regard de peintures et de dessins à la sanguine signées Antoine Watteau et Jean-Honoré Fragonard.
Jeune Fille endormie, 18e siècle
Huile sur toile, 35 x 55 cm
Fontaine-Chaalis, Fondation Jacquemart-André -
Institut de France, domaine de Chaalis
© Fontaine-Chaalis, Fondation Jacquemart-André -
Institut de France, domaine de Chaalis
Repos (Jeune fille endormie), 1892
Huile sur toile, 38 x 46 cm
Collection particulière
© Thierry Jacob
Vient ensuite la section dédiée à l’impressionnisme triomphant de Berthe Morisot (1879-1885), entièrement organisée autour d’un détail de : Vénus va demander ses armes à Vulcain, copie d’après François Boucher exécutée par Berthe Morisot au musée du Louvre dans le but d’orner le salon-atelier qu’elle aménage dans l’immeuble familial qu’elle fait construire avec son époux, rue de Villejust (actuelle rue Paul Valéry) à Paris. Le symbole est de taille puisqu’il s’agit de la seule œuvre peinte par Berthe Morisot qu’elle accrocha dans son intérieur et avec laquelle elle vécut (ses autres peintures étant remisées). L’œuvre dans ce contexte prend la force d’un manifeste. Associée à son esquisse en grisaille provenant du musée des arts décoratifs à Paris (le monumental tableau du musée du Louvre étant intransportable), elle est mise en relation avec les œuvres les plus significatives de la maturité : Femme à sa toilette (Chicago, The Art Institute), Jeune femme en toilette de bal (Paris, musée d’Orsay), Jeune femme au divan (Londres, Tate), Jeune femme en gris étendue (collection particulière) ou encore Le jardin à Bougival (Paris, musée Marmottan Monet). Entre François Boucher et les scènes de la vie parisienne de Berthe Morisot, se retrouvent une même appétence pour les couleurs claires ainsi qu’une conception de la beauté au féminin.
La section suivante est dédiée à Jean-Honoré Fragonard qui se déploie autour d’une de ses toiles phares : La leçon de musique, exceptionnellement prêtée par le musée du Louvre. Plusieurs œuvres majeures de l’impressionniste sont regroupées à faible distance : La dame au manchon (Dallas, Dallas Museum of Art) et l’Autoportrait de l’artiste (Paris, musée Marmottan Monet) sont les plus illustres. Ici c’est bien la liberté de facture, la touche visible qui domine plus encore que les tonalités bruns rosés. D’autres peintures, signées George Romney (1734-1802) (prêt exceptionnel de la Wallace collection), Thomas Gainsborough (1727-1788) et Jean-Baptiste Perronneau élargissent, pour mieux l’asseoir, le prisme de cette comparaison.
En 1885, la première exposition de la Société des Pastellistes français et son florilège de feuilles du XVIIIe siècle marquent un tournant dans la pratique de Berthe Morisot. Pénétrée de l’art de ses prédécesseurs, Morisot systématise le recours au pastel dans ses œuvres préparatoires pour établir ses harmonies colorées, révélant un lien très fort et visible avec ses peintures sur toile. C’est ce rapprochement qui est mis en évidence à travers la réunion de peintures et de pastels : Fillette à la mandoline (collection particulière), Enfants à la vasque (Paris, musée Marmottan Monet), Fillette au jersey bleu (Paris, musée Marmottan Monet) ou La Fable (collection particulière). Berthe Morisot a absorbé les manières de faire des peintres du XVIIIe siècle, leurs reflets colorés, leur goût de l’esquisse. Ses œuvres nous apprennent à mieux regarder la peinture du XVIIIe siècle.
Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé, 1750
Huile sur toile, 129 x 157 cm
Tours, Musée des Beaux-Arts
© Musée des Beaux-Arts de Tours, cliché D. Couineau
d’après François BOUCHER
Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé, 1892
Huile sur toile, 64,2 x 79,4 cm
Paris, Musée Marmottan Monet
© Musée Marmottan Monet
En deuil de son époux, en 1892, l’impressionniste se tourne une fois encore vers Boucher qu’elle copie lors d’un passage au musée de Tours : Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé (Tours musée des beaux-arts) de Boucher. Les toiles des deux artistes sont rapprochées à la suite de l’acquisition par le musée Marmottan Monet de : Nymphes s’enlaçant peint par Berthe Morisot. Il est clair qu’il ne s’agit pas d’une copie servile mais plutôt d’un dialogue. Ici, Morisot transpose Boucher dans son univers : lui impose une palette et une facture qui lui sont propres. Elle se place ainsi délibérément dans une filiation artistique qu’elle interprète à l’aune de son siècle et de son tempérament. Son Repos (collection particulière), la Jeune fille endormie de Boucher (Chaalis, musée de l’abbaye royale) ou le Portrait de Mme Perronneau endormie (Paris, collection particulière) illustrent ce propos et clôturent l’exposition.
Le commissariat de l'exposition a été assuré par les historiennes de l’art : Marianne Mathieu et Dominique d’Arnoult, avec la participation de Claire Gooden, attachée de conservation du musée Marmottan Monet.
ET L’ART DU XVIIIe SIÈCLE
Catalogue de l'exposition
Coédition musée Marmottan Monet / Éditions Hazan
Format : 22 x 28,5 cm — 208 pages
ISBN : 9782754113335
Sous la direction de Marianne Mathieu, historienne de l’art. Avec les contributions de Dominique d’Arnoult, Docteur en histoire de l’art, Claire Gooden, historienne de l’art et attachée de conservation au musée Marmottan Monet, Marianne Mathieu, historienne de l’art et Lois Olivier, historienne de l’art
MUSÉE MARMOTTAN MONET
Académie des Beaux-Arts
2 rue Louis-Boilly, 75016 Paris